L'école des saveurs
de
Erica Bauermeister
"Le moment que préférait Lilian, c'était juste avant d'allumer la lumière. Debout sur le pas de la porte, laissant derrière elle l'air chargé d'humidité, elle sentait les odeurs de la cuisine venir à elle: la levure fermentée; le café terreux et sucré; l'ail qui s'adoucissait à l'air libre. En dessous, plus ténus, flottaient les effluves de la viande fraîche, des tomates crues, des cantaloups, des gouttes d'eau sur la laitue."
A l'âge de quatre ans, le père de Lilian décide de quitter la maison. Pour oublier la douleur, sa mère se réfugie dans les livres. Les années passent et à huit ans, Lilian décide de prendre le contrôle de la préparation des repas. Elle entame des expériences culinaires et au fil de ses découvertes gastronomiques, se lance un défi. Elle entend réaliser un plat qui va redonner à sa mère le goût de la vie.
Vingt ans plus tard, nous retrouvons notre héroïne à la tête d'un restaurant. Un restaurant qui tous les premiers lundis du mois accueille l'école des saveurs.
Cet atelier de cuisine réunit des personnes de tous horizons et de tous âges. Lilian va les initier aux épices, aux mélanges, aux nouvelles textures...Mais surtout, la préparation de tous ces mets va permettre à tous ces élèves d'avancer dans leur vie.
Cela faisait longtemps que j'avais remarqué ce premier roman de l'auteure américaine Erica Bauermeister mais il m'a fallu attendre une lecture commune avec ma copinaute Bianca pour le sortir de ma PAL
J'ai beaucoup aimé la structure narrative de cet ouvrage. On croise tout d'abord Lilian, une petite fille qui vit seule avec sa mère. Depuis le départ de son mari, cette dernière s'est réfugiée dans les livres.
"Dans cette nouvelle vie, la figure de sa mère se transforma en une série de couvertures de livres à la place habituelle des yeux, du nez et de la bouche. Lilian ne tarda pas à comprendre que le couvertures pouvaient annoncer une humeur au même titre que les expressions du visage: sa mère s'enfonçait à tel point dans les profondeurs de ses lectures que la personnalité du personnage principal la nimbait comme un parfum appliqué sans discernement. Lilian ne savait jamais qui elle allait trouver à la table du petit déjeuner, bien que le peignoir, les cheveux et les pieds soient toujours les mêmes"
A huit ans, Lilian décide de sortir sa mère de sa léthargie livresque. Il lui faut trouver le plat capable de la ramener à la vie. S'ensuivent plusieurs expériences culinaires avant de trouver la solution (la tasse de chocolat chaud m'a fait penser au joli roman Chocolat de Joanne Harris)
Plusieurs années plus tard, on retrouve notre héroïne à la tête d'un restaurant et d'un atelier culinaire où, de l'automne au printemps, elle accueille le même groupe d'élèves.
Lilian fait alors place à Claire, une mère de famille débordée, inscrite par sa mère à L'école des saveurs. Puis, un autre élève prend la parole...
Chaque chapitre est ainsi consacré à un personnage narrateur qui voit sa vie bouleversée par les cours de cuisine.
Les récits s'enchaînent. On s'attache à chacun des protagonistes, tous éprouvés dans le passé. On assiste à leur évolution, à leurs interactions...
Toutes ces tranches de vie sont ponctuées par des leçons gastronomiques. Des leçons qui donnent envie de se lancer à notre tour derrière les fourneaux ou de s'asseoir à une table de restaurant et qui démontrent le rapport essentiel entre la nourriture et la vie.
A l'école des saveurs, les aliments guérissent, permettent l'oubli, rapprochent...Lilian, à l'instar d'une magicienne, les utilise pour aider chacun de ses élèves.
J'ai aimé suivre toutes ces personnes aux destins et aux caractères si différents. Et j'ai ressenti un pincement au coeur en les quittant à la fin de l'année. J'aurais aimé rester un peu plus auprès d'eux.
De même, j'ai regretté de ne pas en apprendre plus sur Lilian. On sent qu'elle a un don pour comprendre les autres et savoir quelles recettes vont les faire changer. Mais elle demeure énigmatique. Que s'est-il passé pour elle? Quelle est sa vie de trentenaire? On espère la voir rencontrer quelqu'un (au fil des pages, un nom m'est d'ailleurs venu à l'esprit). Mais, finalement, on reste sur notre faim.
Vivement la suite dont la parution est prévue en anglais pour le mois de novembre!
Bref, vous l'aurez compris: L'école des saveurs se révèle un roman sensible et profondément attachant. Un hymne à la vie, aux saveurs et aux plaisirs que recèle le quotidien.
Le Livre de Poche, 2011, 256 pages
Billet dans le cadre d'une lecture commune avec Bianca et dans le cadre du challenge La plume au féminin 2013