Jungle
de
Monica Sabolo
"Le matin où Julia se trancha les veines dans son bain, elle s'était peint les ongles de pied en rouge. Ses lèvres brillaient de gloss parfumé à la cerise. Elle avait enfilé un minuscule bikini rose comme si elle avait prévu d'aller à la plage. Ses cheveux noirs s'étendaient en corolle autour de son visage paisible, vaguement souriant, et ses seins pointaient à la surface de l'eau, comme deux îles émergeant de l'océan Pacifique au soleil couchant. Elle était magnifique.
Sur le miroir au-dessus du lavabo, elle avait inscrit un message avec son tube de rouge à lèvres, qui s'effaçait derrière un nuage de buée.
Louise, tout ira bien. Moi, je vais très bien. Je t'aime."
Été 2002, Julia, 21 ans, se donne la mort. Louise, sa meilleure amie, se remémore celle qui n'est plus. Et remonte le fil de leurs souvenirs et de leurs aventures communes. Deux jeunes femmes très différentes: l'une, idolâtrée, à la recherche de l'amour de tous depuis qu'elle a perdu celui de son père; l'autre, plus introvertie, maladroite, passionnée par les forêts tropicales et qui rêve de trouver un anaconda. On les suit, de leurs rencontres à leurs premières amours, de leurs espoirs d'enfant à leurs premières déchirures.
Ce livre, je l'ai aperçu sur les étagères d'une librairie et j'ai eu envie de m'y plonger immédiatement. Immédiatement, j'ai été propulsée dans la moiteur des étés où tout paraît à la fois immobile et possible. Où les rêves font déborder les piscines et viennent se fracasser contre les réalités des désirs adolescents trahis.
J'ai été frappée par la plume de Monica Sabolo que je découvrais pour la première fois, par sa façon de restituer les atmosphères, par son sens des dialogues et des formules, par ses images, par son style à la fois percutant, lumineux, drôle, sensible et poétique.
J'ai aimé son duo d'héroïnes, perdues dans les méandres d'une adolescence qui, tour à tour, les réunit et les sépare. Julia et Louise, deux personnages bien différents, aux liens qui semblent pourtant indéfectibles depuis la trahison du père de l'une et de la mère de l'autre. L'autrice parvient à nous faire ressentir, touche après touche, toute l'intensité de leur passion amicale. Une passion comme il peut en exister à cet âge chrysalide et qui permet de résister à tout. Mais les rencontres, les bleus de l'âme et les désillusions de l'entrée dans le monde adulte peuvent aussi mettre à mal de tels rapports. Toute l'évolution de leur relation est extrêmement bien brossée.
"Julia était vraiment douée. Sur la scène, elle irradiait. Je la regardais, le cœur battant. Elle était semblable à un ange noir, avec des ailes transparentes et un sourire lubrique. Elle me protégeait de la vie à coups de baisers et d'anxiolytiques volés dans les armoires de son école."
Jungle s'intéresse donc au rapport à l'autre, à la distance qu'il faut parfois mettre avec les êtres que nous aimons le plus, de peur de se brûler ou de se perdre.
"A l'image de ces étoiles mortes depuis des millions d'années et qui continuent de diffuser de la lumière, petits points tremblants dans l'espace, j'avais réalisé que je n'existais plus depuis une éternité."
Autour de ces deux étoiles, Julia et Louise, gravitent plusieurs protagonistes tout aussi intéressants. A commencer par David, le boxeur aux yeux charmeurs, qui valse-hésite entre elles deux. A chaque fois qu'il apparaît, la scène gagne en intensité. Intensité séductrice, intensité humoristique, intensité sexuelle, intensité dramatique aussi. Le frère, ce casse-cou qui masque ses douleurs dans des chutes de plus en plus impressionnantes, m'a également vivement intéressée. Par sa gravité légère. Par ses blessures jamais complètement recousues.
Même si ce sujet de l'amitié forte, trop forte sans doute entre deux filles, ne constitue pas un matériau neuf, Monica Sabolo parvient à se l'approprier et à lui donner un nouveau souffle. C'est beau, c'est drôle, c'est sombre, c'est poétique. Les deux héroïnes: Julia, l'incandescente mystérieuse et Louise, l'attachante originale, nous accompagnent longtemps, une fois les pages refermées.
Bref, vous l'aurez compris: j'ai savouré cette première incursion dans l'univers de cette autrice et ce ne sera certainement pas la dernière fois que j'ouvrirai un de ses livres.
Le Livre de Poche, 2005, 248 pages