Sous le signe du Scorpion
de Maggie Stiefvater
"Nous sommes le 1er novembre, quelqu'un va donc mourir aujourd'hui. Même sous ce soleil étincelant, la mer glacée d'automne garde les bleus sombres, les noirs et les bruns de la nuit. Je contemple les motifs changeants laissés par les sabots qui martèlent le sable"
Tous les ans, au mois de novembre, les capall uisce sortent des flots. Les hommes de l'île de Thisby tentent d'apprivoiser ces chevaux cannibales afin de les monter pour la Grande course du Scorpion.
"La Grande course est un combat, une mêlée d'hommes, de sang et de chevaux, les plus rapides et les plus forts qui ont déjà survécu à deux semaines sur la grève; ce sont des embrunts qui vous volent à la figure, la magie mortelle de novembre sur la peau, et les Tambours du Scorpion qui prennent le pas sur les battements du coeur; c'est la vitesse si vous avez de la chance; c'est la vie ou la mort, ou les deux et c'est unique"
Sean Kendrick a vu son père périr lors d'une de ces compétitions. Mais cela ne l'a pas découragé de participer à cet évènement et depuis quatre années, il ne cesse de le remporter pour le compte des écuries Malvern où il est palefrenier.
En revanche, il s'agit de la première inscription d'une femme, la jeune Kate Connor. Orpheline, elle a perdu ses parents emportés par des capall uisce il y'a trois ans et vit désormais avec ses deux frères. Elle concourt sur un cheval "normal" et espère remporter le premier prix pour sauver la maison familiale.
Seront-ils à la hauteur de l'épreuve qui les attend? Le compte à rebours est lancé.
Je n'avais pas été convaincue par Frisson, le premier tome de la trilogie précédente de l'auteure, paru dans la même collection (Black Moon) chez Hachette.
Aussi, je ne me suis pas précipitée sur son nouveau roman lors de sa publication en juin. Mais l'avalanche de critiques élogieuses m'a fait changer d'avis.
Pour cet ouvrage, Maggie Stiefvater s'est inspirée d'une légende celtique autour de chevaux marins carnivores, les "capall uisce" et l'a adaptée pour élaborer son intrigue.
Justement, selon moi, un des points forts de ce livre réside dans son histoire extrêmement originale. En effet, il se démarque de la production éditoriale récente car jamais ce sujet n'a encore été traité.
La construction se révèle également très habile. Hormis le prologue où on assiste à la mort du père de Sean, déchiqueté par sa monture, les points de vue de Sean et de Kate, surnommée Puck, ne cessent de s'enchaîner. On s'attache ainsi facilement aux deux héros. De plus, l'éclairage de la course et de la vie sur l'île s'enrichit de ses deux regards. De même, cette technique narrative nous permet de sentir l'évolution des deux protagonistes principaux.
Par exemple, le personnage de Sean qui répondait à la question "Qu'attendez-vous de la vie?" par "Un toît au-dessus de la tête, des rênes entre mes mains et le sable sous mes pieds" change radicalement au cours de ce mois de novembre. Il commence à éprouver des sentiments et surtout, reconnaît son envie de quitter son travail, de devenir libre et de racheter Corr, le capall uisce qu'il idolâtre.
Je me suis autant prise d'affection pour Kate/Puck. J'ai beaucoup admiré son courage, son opiniatreté, son féminisme... Elle se bat en permanence pour sauver ceux qu'elle aime, même au péril de sa vie.
L'intrigue amoureuse entre Sean et Kate m'a semblé aussi très bien amenée. Rien ne paraît précipité. Tout se fait en douceur et tout sonne juste. Et cette idylle rajoute encore plus de tension à la grande course de la fin.
La galerie des personnages secondaires constitue également un élément très intéressant. Finn et les trois soeurs vendeuses instillent des éléments de comédie dans ce monde dur.
Car il s'agit bien d'un environnement sans pitié que décrit Maggie Stiefvater dans ce récit. Les sacrifices humains ont été supprimés il y'a des années pour laisser place à la Course du Grand Scorpion. De nombreux touristes débarquent sur Thisby pour assister à cette compétition mortelle. Dès le début de l'ouvrage, on sait qu'on va donc assister au décès de plusieurs personnes. Et en effet, les pertes humaines se succèdent au fil des pages.
Ce côté extrêmement dramatique est compensé par les personnages secondaires fort pittoresques dont je parlais plus haut mais aussi par le lyrisme de l'auteure quand elle évoque les sensations des cavaliers ou les paysages maritimes.
Bref, vous l'aurez compris: un très beau roman qui dénote de la production éditoriale actuelle en terme de littérature young adult et qui constitue un gros coup de coeur. Laissez-vous emporter dans un univers âpre et fascinant!
Hachette, collection "Black Moon", juin 2012, 480 pages, 17,10 €
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