Le Major parlait trop
de
Agatha Christie
"-Prenez le Kenya, pérorait le major Palgrave. Et tous ces types qui déblatèrent sans y avoir jamais mis les pieds! Moi qui vous parle, j'y ai passé quatorze années-dont certaines comptent parmi les meilleures de ma vie...
La vieille Miss Marple dodelina de la tête.
Simple manifestation d'élémentaire courtoisie de sa part. Tandis que le major égrénait ses souvenirs somme toute fort dépourvus d'intérêt, elle-même suivait le cours paisible de ses propres pensées"
Après avoir souffet d'une pneumonie en hiver, Miss Marple s'est vue généreusement offrir par son neveu, l'écrivain Raymond West un séjour aux Antilles.
Elle loge dans une pension récemment reprise par un jeune couple, Tim et Molly Kendal. Parmi leurs hôtes, on retrouve un pasteur et sa soeur, un excentrique milliardaire, quatre amis mariés...Et le major Palgrave qui assome tous les autres avec ses histoires passées. L'une de ses préférées est celle d'un époux assassiin, adoptant toujours le même mode opératoire.
Il en parle à Miss Marple et souhaite lui montrer la photo de ce meurtrier.
"-Ca vous dirait de voir la photo d'un assassin?
Il allait la lui tendre lorsqu'il suspendit soudain son geste. [...]
-Bon Dieu...mais c'est...."
C'est ainsi que le major change brusquement de sujet de conversation.
Le lendemain, il est retrouvé mort, ayant succombé d'après les premières conclusions officielles à une crise d'hypertension.
Mais est-ce vraiment si simple? Le major n'aurait-il pas plutôt payé pour ses trop nombreux bavardages?
Voici le troisième roman d'Agatha Christie que je parcours depuis le début de l'année 2013. Après le passionnant Le Train de 16h50, j'avais envie de retrouver Miss Marple.
Cette fois-ci, on la rejoint dans un univers bien éloigné de son petit village de St Mary Mead. Elle semble un peu perdue, loin de ses repères habituels. Néanmoins, très vite, son esprit vif reprend le dessus et elle commence à établir des liens entre les pensionnaires des Kendall et les gens qu'elle côtoie en Angleterre.
"Ce soir-là, pour la première fois, elle commença à se sentir un peu chez elle, dans son nouvel environnement...Jusqu'à présent, elle n'avait pu établir aucun de ces points de ressemblance qui lui sautaient habituellement aux yeux entre les gens qu'elle rencontrait et certaines de ses connaissances personnelles. Peut-être la gaieté des toilettes et leurs couleurs exotiques l'avaient-elles désorientée, mais elle sentait que bientôt, elle serait à même de faire d'intéressantes comparaisons."
Elle nous livre également, dès les premières pages, une leçon de savoir-vivre pleine d'ironie sur la manière de se comporter en présence de raseurs. J'ai vraiment beaucoup aimé cette scène introductive où on assiste aux interventions toujours bien senties de notre héroïne face aux discours du major Palgrave. Elle n'est jamais réellement attentive mais parvient à véhiculer une impression toute différente.
Malheureusement, c'est ce manque de concentration qui lui fait rater l'identité de la personne qui trouble tant l'officier à la retraite et l'empêche de montrer le cliché du meutrier dont il parlait.
Le lendemain, le major est retrouvé mort. Très vite, on conclue à une crise d'hypertension. Miss Marple ne partage pas cet avis et va commencer à instiller le doute dans l'esprit des autres résidents de la pension.
Elle décide d'ailleurs de mener sa propre enquête. Elle se fait donc passer pour une vieille femme insignifiante et tente de comprendre ce qu'il a pu advenir.
Sans elle, rien n'aurait été soupçonné ni découvert. Une nouvelle fois, Agatha Christie renforce sa légende de Némésis.
Néanmoins, je dois avouer que je n'ai pas été outre mesure convaincue par l'intrigue policière. J'ai assez vite compris qui était derrière les meurtres de la pension. De plus, certaines péripéties m'ont paru trop alambiquées. De même, j'ai pensé que l'auteur alourdissait parfois l'énigme d'intrigues secondaires moins intéressantes.
En revanche, comme d'habitude, j'ai beaucoup apprécié la galerie de personnages secondaires. Certes, on en remarque plus que d'autres. Mais ils sont tous bien campés. Et on ne peut s'empêcher de retrouver certains caractères similaires à ceux d'autres protagonistes de l'oeuvre d'Agatha Christie.
Un peu comme si cette dernière voulait souligner la justesse du raisonnement de son héroïne toujours à la recherche de ressemblances entre ceux qu'elle connaît et ceux qu'elles découvrent...
Bref, vous l'aurez compris: j'ai été moins enthousiaste à la lecture de cette aventure de Miss Marple. Sans doute en raison de la qualité de l'intrigue policière. Cependant, l'héroïne et les personnes qui gravitent autour d'elle m'ont fait passer un agréable moment. Je pense que je ne tarderai pas à me replonger dans de nouvelles enquêtes, peut-être en compagnie du cher détective belge...
Le Livre de Poche, 2009, 220 pages, 5,20 €
Lu dans le cadre des challenges Agatha Christie, God save the livre 2013 et La plume au féminin 2013