Arlequin ou les oreilles de Venise
un album raconté par Hubert Ben Kemoun
et illustré par Mayalen Goust
"Tout le monde à Venise se moquait des oreilles d'Arlequin. C'est vrai qu'elles étaient larges, vraiment très larges. Certains s'amusaient à les comparer à des plats à tarte, ou aux voiles gonflées des navires qui entraient dans le port. Ils exagéraient."
Mais ces grandes oreilles confèrent à Arlequin un talent inouï: il est capable de tout entendre.
"Le clapotis des gondoles sur les canaux de la cité, le battement des ailes de pigeons sur la place Saint-Marc, chaque murmure derrière les murs du pont des Soupirs"
C'est pour cette raison qu'il est devenu l'accordeur de Venise. Tout le monde fait appel à ses services quand un instrument sonne faux.
Un jour, Don Marco lui confie une mission extraordinaire: il doit accorder sa fille Colombine qui ne parle plus depuis deux ans.
"Vous redonnez la voix aux pianos usés comme aux psaltérions brisés, faites de même avec ma fille, et jamais vous n'aurez été aussi bien payé"
J'aime beaucoup Mayalen Goust. Aussi, quand j'ai vu qu'elle avait illustré un album autour d'Arlequin et de Venise, je n'ai pas hésité longtemps avant de le commander pour la médiathèque où je travaille.
Dans cet ouvrage, Hubert Ben Kemoun revisite deux personnages de la commedia dell'arte. Ici, Arlequin est affublé de très grandes oreilles dont tout le monde se moque. Pourtant, ce sont ces oreilles qui le rendent indispensable à la vie de la Cité. En effet, grâce à elles, il répare tous les instruments de Venise et fréquente aussi bien les familles nobles que les mendiants.
Un jour, il est appelé pour soigner la fille d'un gentilhomme. Depuis deux ans, Colombine s'est murée dans le silence et Arlequin doit essayer de la faire sortir de son mutisme. Son seul moyen de communication réside désormais dans les tableaux qu'elle peint.
Tous les jours, notre héros vient s'asseoir près d'elle. Et tous les jours, elle reste muette. Jusqu'à ce qu'il trouve un moyen de l'accorder et de s'accorder à elle...
A cette réécriture de la rencontre entre Arlequin et Colombine se superposent donc de jolies réflexions autour de la différence, de l'art comme mode d'expression et de l'amour.
Et que dire des magnifiques dessins de Mayalen Goust? Elle s'est livrée aussi à une réinterprétation des costumes de ces personnages de théâtre. L'habit couvert de losanges d'Arlequin se fait plus discret: le blanc prédomine désormais et les losanges n'envahissent que les manches, le bas de la tunique et du pantalon. Comme s'il s'accordait déjà à la blancheur de la robe de Colombine.
La teinte de leurs costumes se démarque du reste de l'univers imaginé par l'illustratrice. Elle pare Venise d'ocres, de rouges, de verts...On se croirait projetés dans la Cité des doges et capables d'entendre, comme Arlequin, le bruit des gondoles...
Bref, vous l'aurez compris: j'ai beaucoup aimé cet album et je vous recommande vivement sa lecture.
Père Castor/Flammarion, 2012, 13,50 €