La Petite fille de Monsieur Linh
de
Philippe Claudel
"C'est un vieil homme debout à l'arrière d'un bateau. Il serre dans ses bras une valise légère et un nouveau-né, plus léger encore que la valise. Le vieil homme se nomme Monsieur Linh. Il est le seul à savoir qu'il s'appelle ainsi car tous ceux qui le savaient sont morts autour de lui.
Debout à la poupe du bateau, il voit s'éloigner son pays, celui de ses ancêtres et de ses morts, tandis que dans ses bras l'enfant dort."
Monsieur Linh fuit un pays où il a vu mourir tous ses proches. Tous à l'exception d'une enfant de six semaines.
"Le lait qu'il donne à l'enfant coule sur le bord de ses lèvres. Monsieur Linh n'a pas l'habitude encore. Il est maladroit. Mais la petite fille ne pleure pas. Elle retourne au sommeil, et lui, il revient vers l'horizon, l'écume du sillage et le lointain dans lequel, depuis bien longtemps déjà, il ne distingue plus rien"
Puis, il arrive dans un pays nouveau, au milieu d'une centaine d'autres réfugiés. Commence alors pour lui et sa petite fille une nouvelle vie...Loin de leurs racines...
J'avais adoré deux autres romans de Philippe Claudel: Les âmes grises et le Rapport de Brodeck. Aussi, quand nous avons décidé de nous lancer avec Bianca dans cette lecture commune, j'étais ravie de retrouver l'univers de cet écrivain.
Ce récit s'apparente à un conte. Certes, il ne débute par la formule rituelle "il était une fois". Mais il revêt très vite une dimension intemporelle en raison de l'usage des articles indéfinis. Rien n'est jamais précisé. On reste toujours dans le flou concernant l'identité de l'entourage de Monsieur Linh: "des hommes". La ville qui accueille le réfugié ressemble à toutes les villes en bord de mer, avec ses villas proprettes, ses banlieues, son parc...
Seuls se détachent les héros de l'histoire: Monsieur Linh, sa petite fille "Sang diû", "ce qui dans la langue du pays veut dire "Matin doux"" et Monsieur Bark.
Trois personnages très forts: deux qui vivent dans la souffrance et doivent faire le deuil et un qui les apaise par son innocence.
Ce roman aborde la thématique du déracinement et de l'exil. Monsieur Linh a dû fuir son pays et se retrouve propulsé dans un univers très différent. On sent qu'il a du mal à trouver ses repères. En témoignent certains moments tels que la première balade dans la rue, la visite médicale...
Heureusement, sa rencontre avec Monsieur Bark va lui redonner le goût de la vie.
Monsieur Bark est veuf depuis deux mois et tous les jours, il s'asseoit sur le banc où il avait l'habitude d'attendre son épouse, la propriétaire du manège.
Entre ces deux solitaires que sépare l'obstacle de la langue va se nouer une très belle relation d'amitié. Certains passages de confessions m'ont beaucoup émue. Tout comme j'ai été très touchée par les chansons que Monsieur Linh entonne quand il sent son voisin au bord de la rupture.
J'ai été de nouveau conquise par le style de Philippe Claudel. Simple, puissant, toujours juste...
Les pages se sont enchaînées, jusqu'à la note ultime d'espoir. Et la surprise...Je ne vous en dirai pas plus car je ne veux pas gâcher le plaisir de votre lecture. Mais je ne m'attendais pas du tout à ce dénouement, en dépit des nombreux indices dissimulés au fil de l'intrigue.
Bref, vous l'aurez compris: même s'il n' a pas été un coup de coeur comme les Ames grises ou le Rapport de Brodeck, je me suis laissée de nouveau embarquer dans le bel univers de cet écrivain français. Si vous cherchez un ouvrage optimiste, émouvant et qui fait réfléchir, alors La petite fille de Monsieur Linh est faite pour vous.
Billet dans le cadre d'une lecture commune avec Bianca.
Le Livre de Poche, 2013, 183 pages, 5,60 €