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  • Salina les trois exils de Laurent Gaudé

    Salina

    les trois exils

    de

    Laurent Gaudé

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    "Au tout début de sa vie,  dans ces jours d'origine où la matière est encore indistincte, où tout n'est que chair, bruits sourds, pulsations, veines qui battent et souffle qui cherche son chemin, dans ces heures où la vie n'est pas encore sûre, où tout peut renoncer et s'éteindre, il y a ce cri, si lointain, si étrange qu'on pourrait croire que la montagne gémit, lassée de sa propre immobilité. Les femmes lèvent la tête et se figent, inquiètes. Elles hésitent, ne sont pas certaines d'avoir bien entendu, et pourtant cela recommence: au loin , vers la montagne Tadma que l'ont ne franchit pas, un bébé pleure."

    Ce bébé, un guerrier le transporte emmailloté. Au pied du roi des Djimbas, il le dépose comme une offrande. Mais le Roi ne veut pas y toucher. Et si c'était un enfant du malheur? Il le laisse à l'épreuve de la nuit. Puis, à celle des hyènes.

    Mamambala, une femme du village, n'y tient plus et recueille ce bébé. Cette petite fille qu'elle surnomme Salina en raison du sel des larmes tant versées.

    Salina grandit et, lorsque son sang se répand pour la première fois, la voilà livrée à la merci des hommes. Rage, haine et brutalité sont désormais son lot.

    Quand ce destin vient à nos oreilles de lecteurs, ce n'est pas Salina qui nous le conte. C'est son fils Malaka qui le transmet. Il espère que son récit ouvrira les portes du cimetière à la dépouille de sa mère.

    "Malaka sait alors qu'il est temps de raconter ce que fut sa mère. Il sait qu'il est temps de prononcer ce vieux nom de Salina qui n'existe plus que pour lui et qu'il a gardé comme un bien précieux. Et  c'est comme si, tout à coup, un autre monde surgissait dans la douceur du soir, un monde sec, aride, fait de sang, de blessures et empli de l'odeur épaisse des hyènes."

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    Quel plaisir de retrouver la plume de Laurent Gaudé! Dans ce récit, aux dix chants de vie et de mort, il retrace l'existence de Salina, une héroïne de la trempe des Médee ou Circé. Une figure forte, aux origines inconnues et dont l'arrivée dans le clan des Djimas revêt un aspect mythologique. Abandonnée par un mystérieux guerrier, elle survit au froid, aux hyènes et se fait adopter par une villageoise.

    Après ce chant introductif, nous la retrouvons au crépuscule de ses jours. Guettant l'arrivée d'une caravane que son fils Malaka a accompagnée. Des cris de mort résonnent dans le désert. Tout se glace en elle. Puis, il apparaît.

    Son retour annonce leur départ vers un ailleurs. Un ailleurs que ne connaîtra jamais Salina.

    Vie et mort sont donc ainsi toujours étroitement entrelacés dans ce désert âpre et rugueux.

    Après les débuts, après la fin, place aux mots de Malaka. Des mots que Salina elle-même a instillés en lui, veillée après veillée.

    C'est un peu comme si sa voix se mêlait à la sienne. Pour dire son amour, sa haine, sa souffrance, sa solitude, sa vengeance...Pour parler aussi de ce bonheur qui semble lui échapper sans cesse. Comme pour ses grandes héroïnes que je mentionnais plus tôt.

    Certaines scènes m'ont d'ailleurs furieusement fait penser à des récits mythologiques ou bibliques: la dénonciation après la bataille, la lutte des frères sur la montagne...

    On est ainsi captés par ces séquences, par leur intensité, par leur fatalité. Laurent Gaudé se révèle, comme souvent, un narrateur incroyable, au style à la fois poétique et incisif et à la construction maîtrisée et implacable.

    Dans cet univers sec, aux allures de Grèce, d'Afrique et d'Inde, il nous tient captif. Comme si c'était lui Malaka et que nous étions les auditeurs de ce village avec le cimetière-île. Cette mise en abyme m'a d'ailleurs beaucoup plu.

    J'ai aimé me retrouver dans ces paysages arides, à la recherche de Salina.

    J'ai aimé retenir mon souffle lors de ces jours de bataille sur la montagne.

    J'ai aimé les femmes de ce drame, qui naviguent sans cesse entre amour, haine et pardon.

    J'ai aimé ces scènes parallèles (le mariage et le fleuve) et ces échos inversés.

    J'ai aimé ce conte de vie et de mort.

    Bref,  vous l'aurez compris: Salina fait partie de ces grands romans qui nous accompagnent longtemps et que l'on ferme à regret.

    Actes Sud, 2018, 148 pages

     

  • Interview d'Olivier Liron

     

    « Écrire, c'est oser se jeter dans le monde »

    Interview d'Olivier Liron autour de Danse d'atomes d'or et Einstein, le sexe et moi

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    @Coline Sentenac

    J'ai entendu parler pour la première fois d'Olivier Liron sur les réseaux sociaux. Il se chuchotait que son deuxième roman Einstein, le sexe et moi était une pépite à la fois drôle et émouvante autour certes des coulisses de l'émission Questions pour un super champion mais aussi autour de la différence et de l'incapacité à trouver les mots pour se connecter aux autres. Intriguée, je me le suis procuré et j'ai immédiatement compris l'engouement que suscitait cette œuvre. Je l'ai dévorée en quelques heures et j'ai eu aussitôt envie de me plonger dans son premier ouvrage Danse d'atomes d'or. Une fois encore, le charme a opéré et j'ai été emportée par ses mots, par cette danse d'amour et de mort, par ces cœurs en lambeaux, par ces rires derrière le désespoir et par cette relecture aussi moderne et incarnée du mythe d'Orphée et d'Eurydice.

     

    Ainsi est née en moi l'envie de poser quelques questions à Olivier Liron tant autour de ses deux titres que du processus d'écriture. Et avec beaucoup de bienveillance et de gentillesse, il a accepté de se prêter au jeu.

     

    •  Décèles-tu des thèmes communs entre tes deux romans ?

    Dans mes deux romans, l'accès à la parole se retrouve empêché. Dans Danse d’atomes d'or, les amoureux ne peuvent pas se parler et dans Einstein, le sexe et moi, l'enfant se révèle incapable d'exprimer ce qu'il vit tant à ses parents qu'aux personnes qu'il aime. C'est comme si ces deux œuvres, chacune à leur manière, permettait de réparer cette béance-là, de combler ces silences. Par l’adresse à la personne aimée dans le cas de Danse, par le récit en lui-même qui viendrait racheter tous les non-dits dans Einstein. Finalement, l'enfer, c'est cette parole coupée qui se rétablit grâce à la poésie.

     

    • Peux-tu nous parler de la relecture du mythe d'Orphée et d'Eurydice dans Danse d'atomes d'or?

    Je trouve ce mythe d'Orphée et d'Eurydice magnifique. Il pose les questions de la mort et de la poésie, de l’interdit du désir et de sa sublimation, de la jouissance par l'art. Est-ce que le désir est plus fort que la mort ? Est-ce que l'artiste peut quelque chose contre la finitude et la perte ? Avec ce roman, je ne m'écarte pas du sens profond du mythe.

    Néanmoins, je voulais inverser la lecture de l'histoire d'Orphée et d’Eurydice. Je ne me suis pas dit consciemment que j’allais écrire une version féministe de ce mythe. Mais c'était important pour moi de redonner sa place au personnage d'Eurydice qui, souvent dans la tradition romantique, est un faire-valoir d’Orphée. Dans Danse d'atomes d'or, le personnage masculin se place du côté de la vulnérabilité et des sentiments tandis que le personnage féminin présente un côté très solaire et dégage une grande force. Les attributs féminin/masculin se mélangent donc et sont redistribués. Orphée subit, montre sa vulnérabilité tandis qu'Eurydice semble maîtresse de son pouvoir. Un nouvel équilibre s'instaure ainsi et les rôles originels se trouvent subvertis.

     

    •  Dans Danse d'atomes d'or, quel rapport entretient la parole avec la vie et la mort ?

    Ce livre, c'est une sorte de prière pour les morts. Il interroge le rapport de la parole avec la mort et la mémoire ainsi que la survivance par rapport à la mémoire.

    Une fois encore, O. et L. ont deux façons différentes d'appréhender le temps qui passe, la disparition, l'absence et la fin de quelque chose. O. tient un discours élégiaque, ressasse également l'abandon tandis que L. célèbre la vie, la joie, l'amour...

     

    •  Ton deuxième roman Einstein, le sexe et moi rencontre un énorme succès et a même remporté le Grand prix des blogueurs littéraires 2018. T'attendais-tu à une telle réception ?

    Je suis très ému, très touché par ce succès. Il y a un topos qui voudrait que l'écrivain soit la bouche des malheurs de ceux qui n'ont pas de bouche. Sans en être conscient, cette parole que, moi, j'ai exprimé, libère la parole de gens qui se retrouvent dans cette histoire.

    On est dans une société qui exclut beaucoup et qui cherche à exclure ou détruire beaucoup d'êtres humains. Et beaucoup de parties du corps social. On peut subir beaucoup de violences dans l'enfance ou dans l'adolescence. Même si ce sont des blessures qui restent, je pense que le fait d'en parler avec beaucoup de joie, beaucoup d'humour et beaucoup d'espoir libère. C'est un livre que j’ai voulu très joyeux, très drôle, très léger. C'est incroyable de recevoir des dizaines, des centaines, des milliers de messages de gens très différents qui se sont tous reconnus à un moment dans la souffrance, dans le sentiment d'être détruit. Je ne m'attendais pas à ce succès et c'est très émouvant. Je suis aussi content que cela permette aux gens de découvrir le reste de mon travail artistique et notamment mon premier roman.

     

    • Peux-tu nous en dire plus sur la genèse de ce deuxième roman ?

    Très tôt, j'ai eu l'intuition que je pouvais articuler une quête existentielle, un récit autobiographique qui parle de comment je suis devenu écrivain (le récit s'arrête au moment où le jeune homme s'affirme en tant qu'écrivain, en tant qu'artiste) avec un récit burlesque de ma participation au jeu Questions pour un super champion, un contrepoint décalé et comique.

     

    • A la lecture de Einstein, le sexe et moi, j'ai été frappée par la construction narrative sous la forme de chapitres courts, aux titres toujours percutants. Peux-tu nous en révéler plus?

     Chaque livre, chaque sujet appelle sa forme. Un roman, c’est un équilibre à trouver. Comme ce livre est très compact, et très tendu, je ressentais le besoin de lui donner plus de respiration. Les romans de Richard Brautigan sont scindés en courts chapitres, un auteur que j'aime beaucoup. Chaque chapitre est comme une case au jeu de l'oie. Il y a sensiblement le même nombre de chapitres au nom bizarre que de questions posées au candidat. Chaque chapitre correspond à une question ou un élément du jeu. Et la progression du héros, sur ce mode du coq-à-l'âne, est appuyée dans l'inconscient du lecteur par les titres de ces chapitres. C'est la grande épopée burlesque et rhapsodique d'un candidat qui veut absolument gagner.

     

    •  Est-ce que tu trouves ton deuxième roman aussi poétique que le premier ?

    Pour moi, il y a poésie quand il y a un travail sur le langage, un travail d’écriture. Je suis intimement convaincu qu’on peut chercher la poésie propre de chaque matière. Dans le premier roman, la poésie de la danse et de l’éros va s'exprimer par une attention aux rythmes, au mouvement de la phrase, dans un travail presque chorégraphique. Dans le deuxième, avec cette expérience contemporaine d’un jeu télévisé, la poésie tient pour moi dans le rythme frénétique de la parole, mais réside aussi dans l’inventaire à la Prévert, dans le collage/montage d’éléments et de mondes qui, a priori, n’ont rien à voir. C’est tout cela qui m'a intéressé littérairement dans Questions pour un champion.

     

    •  En quoi consiste selon toi le travail d'écriture ?

    Je serais bien incapable de répondre dans l’absolu. En ce qui me concerne, j'ai écrit à 6 ans mon premier poème : Souvenirs de ma jeunesse. C’était une déploration grandiloquente de ma jeunesse enfuie ! Ça a toujours été une façon de vivre. Depuis, j'ai toujours écrit. Une façon de vivre, d’exister. « Exister c’est oser se jeter dans le monde », écrit Simone de Beauvoir. J’aime beaucoup cette formule. On pourrait dire qu’écrire, de la même façon, c'est oser se jeter dans le monde. En ce qui concerne le processus lui-même, j’ai l’impression qu’une bonne partie du travail d’écriture échappe à la conscience rationnelle. Quand tu écris, l’intellect se mélange à l’affect, à la pulsion. C'est difficile après de démêler. Tout cela arrive en même temps. On est quand même dans une simultanéité de l'idée et de la fabrication. On a des esquisses. Voilà, on a des esquisses et, après, quand on fabrique, on ne construit pas des répliques d'un plan préexistant. Pour moi les plans sont comme des échafaudages. On peut en bâtir mais il faut qu’ils disparaissent à la fin. Peut-être que tout s'écroule et qu’on écrit à partir de ce qui s'écroule. Petit à petit, tu casses tout. Une grande idée première est là. Celle d'écrire un roman d'amour sous la forme d’un ballet. Ou un récit autobiographique associé à une émission de télévision… Pas la structure exacte. Cela se construit au fur et à mesure. Mais ce processus reste très mystérieux pour moi. La création artistique offre la merveilleuse possibilité d’exprimer l’incommunicable, ce qui ne serait pas communicable autrement. L’art, et a fortiori la littérature, permettent de partager la vision singulière du monde que chaque personne a en soi, et cette intersubjectivité est précieuse.

     

     

    Un grand merci à Olivier Liron pour ces réponses, sa grande culture, son humour et sa disponibilité ! N'hésitez pas si vous ne les avez pas encore lus à vous précipiter sur ses deux romans Danse d'atomes d'or et Einstein, le sexe et moi, tous les deux parus chez Alma éditeur.