Les Brumes de Riverton
de
Kate Morton
"Madame,
J'espère que vous excuserez mon insistance: toutefois, je me permets de vous écrire à nouveau, n'ayant pas reçu de réponse à ma précédente lettre, par laquelle je vous exposais dans les grandes lignes mon projet de film: Les Brumes de Riverton.
C'est donc un film d'amour-l'histoire des relations entre le poète R.S. Hunter et les sœurs Hartford, avant son suicide, survenu en 1924."
En 1999, une jeune réalisatrice décide de faire un film autour de la mort tragique d'un poète à Riverton. Pour comprendre ce qui a pu mener à ce geste fatal, elle tente de rentrer en contact avec Grace Bradley, le dernier témoin vivant...
De prime abord, cette ancienne domestique refuse de coopérer et de donner les détails de cette nuit fatidique. Mais cette demande va réveiller les fantômes du passé...
Et, très vite, elle va dérouler le fil de ses souvenirs.
Depuis que j'ai découvert Kate Morton avec le Jardin des secrets, j'aime sa manière de bâtir des intrigues gigognes où différentes temporalités s'entremêlent et où tout prend sens dans les dernières pages.
Des quatre ouvrages qu'elle a pour l'instant écrits, il ne me restait que les Brumes de Riverton à parcourir. Il s'agit de son premier roman et j'ai trouvé que cela se ressentait.
C'est comme si elle testait dans ses pages sa future mécanique. On retrouve les ingrédients que j'affectionne: plusieurs époques, un mystère du passé, des histoires d'amour tourmentées,un voyage dans les méandres de la mémoire...Mais tout ne se déroule pas de façon aussi efficace que dans ses autres opus.
En effet, on sent quelques hésitations, quelques indices maladroits glissés en avance et trop révélateurs (quand on connaît déjà sa façon de faire), un sens de la découpe encore imparfait...
Néanmoins, ces quelques défauts m'ont paru émouvants. C'est comme si on assistait à la genèse de son art romanesque. Et j'ai beaucoup aimé cela.
J'ai également trouvé l'historie très prenante. Elle enchâsse deux intrigues: une plus contemporaine où on suit une Grace Bradley vieillie et qui se perd dans ses souvenirs et une qui court sur dix ans, de 1914 au drame de 1924.
Très vite, la seconde prend le dessus. Ce qui m'a rendue heureuse car c'est nettement cette partie que je préférais. On assiste à tous les événements qui ont touché cette famille des Hartford et on observe la vie à Riverton par les yeux de la nouvelle bonne, Grace Bradley. Dès le début, on sent son émerveillement à découvrir une telle richesse, un tel quotidien...et de tels jeunes gens.
Ce choix d'une "outsider" pour parler de Riverton m'a semblé très intéressant. Même si les années ont passé, on sent que la personne âgée n'a pas pris de recul par rapport à la jeune femme qu'elle était au début des années 1910. Seul le lecteur parvient à déceler quelques ombres au tableau idyllique qu'elle dépeint. Comme si sa narration lui échappait...
Ce choix d'une "outsider" permet également de plonger dans le monde des domestiques. Et j'ai beaucoup apprécié cette atmosphère à la Downton Abbey. On apprend beaucoup de choses sur le quotidien de ces serviteurs, sur leurs règles, leurs codes....
Cette description d'un univers en déliquescence constitue d'ailleurs, selon moi, le point fort de cet ouvrage.
A cette ambiance so british se superposent quelques thèmes forts: l'impact de la guerre, le combat de certaines femmes pour s'affranchir des obligations inhérentes à leur rang...
Les pages se tournent vite...La mécanique s'emballe. Jusqu'au drame final que je n'avais pas anticipé..
Bref, vous l'aurez compris: ce roman "jachère" se révèle quand même prenant. Et, même s'il ne figure pas parmi mes préférés de cet auteur, il m'aura permis de passer un bon moment.
Editions Pocket, 2007, 695 pages
Billet dans le cadre du challenge Un pavé par mois de Bianca