Les Croix de bois
de
Roland Dorgelès
"Les fleurs à cette époque de l'année, étaient déjà rares, pourtant on en avait trouvé pour décorer tous les fusils du renfort et la clique en tête entre deux haies muettes de curieux, le bataillon, fleuri comme un grand cimetière, avait traversé la ville à la débandade."
Ainsi commence le roman Les Croix de Bois. Il tire son nom de toutes les croix, faites à la va-vite, que l'on pouvait trouver au-dessus des cadavres des soldats français et allemands.
Rolend Dorgelès entend, avec cet ouvrage, rendre hommage à tous ces combattants de la Première Guerre mondiale. Et on le sent bien dès les premiers chapitres.
En effet, on assiste à une succession de scènes toutes représentatives du front: l'arrivée des nouvelles recrues, la première nuit dans les tranchées, l'appel, les permissions....Autant de succédanés de ce que pouvait être la vie de ceux qui ont été appelés ou se sont engagés.
A ces scènes de la vie quotidienne s'entremêlent des scènes de combat ou d'attente de l'ennemi.
Des scènes qui nous parlent de l'absurdité des batailles et de la cacophonie des ordres.
Des scènes qui nous disent tout de la peur des hommes et de la tristesse de voir leurs compagnons tomber.
Des scènes inoubliables qui restent longtemps ancrées dans la mémoire et qui nous rappellent ce qu'a subi toute une génération.
"Nous acceptons tout: les relèves sous la pluie, les nuits dans la boue, les jours sans pain, la fatigue surhumaine qui nous fait plus brutes que les bêtes, nous acceptons toutes les souffrances, mais laissez-nous vivre, rien que cela, vivre...Ou seulement le croire jusqu'au bout, espérer toujours, espérer quand même. Maintenant et à l'heure de notre mort, ainsi soit-il..."
Adolescente, j'avais déjà lu ce roman mais je ne me souvenais pas de cette structure si particulière. Quand je l'ai repris pour cette lecture commune avec ma copinaute Céline, je dois avouer que j'ai été quelque peu désarçonnée par ce rythme et cette absence d'"intrigue".
Puis, je me suis attachée à ce groupe de soldats, je me suis fondue dans leur bataillon, j'ai vécu leur quotidien, j'ai prié avec eux sur la colline...et je me suis laissée prendre par le style de Roland Dorgelès, par son humanité et par sa faculté à donner du souffle même aux situations les plus triviales.
Ce qui donne encore plus de force à ce récit, c'est le sentiment de vécu qui se dégage de ces pages. On se rend bien compte que l'auteur a mis beaucoup de lui et de son expérience dans son œuvre.
"Maintenant, on savoure la moindre joie, comme un dessert dont on est privé. Le bonheur est partout: c'est le gourbi où il ne pleut pas, une soupe bien chaude, la litière de paille sale où l'on se couche, l'histoire drôle qu'un copain raconte, une nuit sans corvée...[...] Pareil aux enfants pauvres, qui se construisent des palais avec des bouts de planche, le soldat fait du bonheur avec tout ce qui traîne."
Ce sentiment de vécu amplifie d'ailleurs encore plus l'horreur de certaines séquences. Celle du tunnel creusé...Celle du soldat blessé qui appelle au secours et que tout le monde laisse mourir...Celle du cimetière...
On ressort des Croix de Bois profondément choqués et émus. Avec la conviction de ce "plus jamais".
Et je ne vous dis rien des pages finales qui prennent, au regard de l'histoire, une résonance particulière.
Bref, vous l'aurez compris: je vous recommande vivement cette lecture.
Le Livre de Poche, 288 pages, 5,10 €
Billet dans le cadre d'une lecture commune avec Céline et du Challenge Première Guerre mondiale.