La Faute au midi
de
Jean-Yves Le Naour
"Marseille, 7 août 1914
Allons, la mère, il faut bien faire son devoir.
Et puis, ça ne va pas durer longtemps. Dans quelques semaines, on sera de retour."
C'est sur ces mots qu'Auguste Dodde quitte sa mère sur le quai de la gare à Marseille. Il s'en va grossir les rangs du XVème corps, un bataillon qui regroupe les soldats de Provence ainsi que ceux de Corse, des Alpes-Maritimes, du Gard et de l'Ardèche.
Avec eux, il est dirigé vers la frontière, au Nord de Nancy.
Sur cette ligne du front, les Allemands semblent se dérober et refuser toute bataille. Les Français croient qu'ils ont peur de leur surnombre et veulent engager le combat.
Malgré les avertissements de Mosellans et ceux du capitaine Armengaud, un aviateur parti en reconnaissance, ils foncent ainsi droit dans le piège tendu par leurs ennemis.
Dans une nasse, sous le feu de l'artillerie, quelques 10 000 soldats tombent. Et les survivants se retirent.
Cette défaite remet en cause la stratégie du général Joffre qui souhaitait laisser les Allemands avancer en Belgique tout en les contrant en Lorraine.
Mais, surtout, elle n'est pas comprise par le grand Quartier général ni par Adolphe Messimy, le Ministre de la Guerre de l'époque. On cherche des coupables et la faute revient au Midi.
Messimy dépêche le sénateur Gervais auprès du Matin et l'enjoint à dénoncer le XVème corps. Un article assassin paraît donc dans le journal le 24 août.
Un article qui provoque un tollé auprès des sénateurs et députés provençaux et auprès du Sud du pays et qui pousse Messimy à la démission le 25 août. Un article, aussi, qui entretient le racisme intérieur et suscite des gestes de rejets, des rebuffades...à l'encontre de ces soldats incriminés.
J'ai emprunté par hasard cette bande dessinée à la médiathèque où je travaille. Et je l'ai dévorée. Je n'avais jamais entendu parler de ce fait de guerre ni de ce racisme intérieur que subissaient certains combattants. De même, j'ignorais tout du sort rencontré par Auguste Dodde et par Joseph Tomasini.
Cet album monte sans cesse en puissance. En le lisant, j'ai eu l'impression d'assister à une tragédie en quatre actes.
Acte 1: la bataille sanglante en Lorraine. Une bataille piège contre laquelle les état-majors avaient été prévenus. Mais fort de leur savoir et désirant renouer avec les opérations militaires napoléoniennes, ils ont oublié l'importance du canon et envoyé 10000 personnes à la mort.
Acte 2: la recherche du coupable idéal. Au lieu d'endosser la responsabilité, on impute la faute au Midi.
Acte 3: la reconnaissance de l'erreur et de la fausseté des accusations. Mais les graines de la suspicion ont déjà germé dans certains esprits face à ces bataillons provençaux.
Acte 4: les victimes collatérales (je n'en dirai pas plus afin de ne pas gâcher la découverte....)
A chacun de ces actes, on assiste au sort injuste fait aux soldats, souvent simples chairs à canon et jouets des puissants. Et on en ressort révolté et profondément ému.
Impuissance des sans-grades/Jusqu'au boutisme/Erreur militaire/Rejet de la responsabilité sur l'autre. Autant de thèmes qui traversent cette œuvre et se révèlent malheureusement bien intemporels.
Car, même si ce drame se situe pendant la Première Guerre mondiale, on sait bien que de telles attitudes sont souvent universelles.
Et que dire de cette dernière scène? Une scène à la fois émouvante et éprouvante. Une scène où la réponse est tellement inadaptée face au malheur et à la souffrance.
L'historien Jean-Yves Le Naour signe là une belle bande dessinée, à la fois instructive, habilement construite et forte.
En revanche, je dois avouer que j'ai été moins sensible aux dessins. Mais je reconnais que leur sobriété sert à merveille le texte.
Bref, vous l'aurez compris: je vous recommande la lecture de La Faute du Midi, ne serait-ce que pour découvrir cette partie assez méconnue de l'histoire de la Première Guerre mondiale
Bamboo Editions, 2014, 56 pages, 13,90 €
Billet dans le cadre du challenge Première Guerre mondiale que j'organise.
Commentaires
Je ne connaissais ni ce titre ni ce racisme intérieur, dommage que tu n'ai pas apprécié les dessins. Si je le trouve à la mediatheque je ne manquerai pas de l'emprunter, les thèmes abordés sont intéressants
Je n'ai pas été sensible aux dessins. Et malheureusement, cela ne s'explique pas.
En revanche, c'est vraiment un très bon album de bande dessinée et j'espère que tu pourras le lire car il te plairait beaucoup.
Comme Bianca, cette BD m'intéresse ! J'espère la trouver :)
J'espère que j'accrocherai plus aux dessins que toi !