Les Silences
d'Amélie Antoine
"31 mars 2017-20h30
Les cernes s'estompent, les poches sous les yeux disparaissent comme par magie grâce à la dextérité de la maquilleuse qui œuvre sans un mot. Elle sait qu’Édouard n'aime pas parler de la pluie et du beau temps, elle sait qu'il exige le silence complet avant d'entrer en scène. Telle une abeille qui butinerait autour d'une fleur, elle s'agite autour de lui: le fond de teint, la poudre nacrée, le blush léger pour effacer les nuits agitées, les journées frénétiques. Lui reste immobile. Le regard rivé au miroir, impassible, il observe la métamorphose. Comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre, comme si ce reflet n'était pas le sien mais celui d'un parfait inconnu."
Édouard Bresson est devenu, à quasiment 50 ans, l'humoriste préféré des Français. Ses spectacles affichent partout salle comble. Ce 31 mars, il s'est même fixé comme défi de faire rire le Stade de France.
Parmi les spectateurs qu'il attend avec le plus d'impatience, figure Arthur, son fils. Mais, à chaque fois, la place qu'il lui a réservée reste vide. Et si ce soir, tout changeait? S'il parvenait à trouver les mots pour combler leurs silences et leurs distances? S'il rattrapait enfin ses erreurs lors d'une chasse au trésor qu'il aurait organisée ?
Ce livre, je l'ai emprunté par hasard. Son titre ainsi que sa couverture (cette photo en noir en blanc) m'ont t attirée sur la table de présentation des nouveautés de ma médiathèque. Je l'ai entamé un midi et je n'ai pas pu le lâcher.
Un père, un fils et des silences à déchirer: ces trois ingrédients m'ont embarquée et m'ont tenue en haleine jusqu'à la phrase finale.
Ce roman se découpe en deux parties: dans la première, le lecteur suit Édouard Bresson, un humoriste reconnu, que le succès à éloigné des siens. Dans la seconde, retentissent les mots d'Arthur, son fils de 24 ans, qui nous livre sa version de leur relation et l'image qu'il a de son père. A chacun de ses fragments, son identité narrative.
Une manière pour Amélie Antoine de déployer tout son talent. Ce n'est pas toujours évident de bien marquer les différences de voix dans ce genre de construction et elle s'en tire avec beaucoup de brio.
En matière d'effets de style, j'ai également beaucoup apprécié la répétition de la dernière phrase du précédent chapitre au début du chapitre suivant dans la première partie. On est sans cesse happés par le monologue d’Édouard. Un peu comme si on se transformait en un spectateur du Stade de France et qu'il ne nous laissait jamais reprendre notre souffle entre deux rires. A la différence qu'ici, ces mots nous touchent en plein cœur et nous font comprendre sa poignante solitude.
L'autre effet qui m'a particulièrement marquée est cet acrostiche en décalé dans les titres des chapitres de la seconde partie. Comme si nous nous lancions aussi dans une chasse au trésor, en parallèle de celle d'Arthur. Ce n'est qu'au début du dernier chapitre que nous découvrons le sens de ce message caché. Message dont on peut se sentir autant le destinataire que le propre fils d’Édouard.
En revanche, je dois confesser que le choix de répéter très régulièrement le mot silence, pour mieux sans doute appuyer le propos, ne m'a pas toujours convaincue.
Ce roman offre deux très beaux portraits d'homme. Des hommes qui sont nos propres miroirs avec leurs élans, leurs rêves, leurs passions, leurs imperfections...
Édouard, le premier que nous croisons, est parvenu à un carrefour de vie. Derrière cette façade d'homme capable de faire rire la France entière, se dissimulent bien des failles et des blessures. Au gré des chapitres, il effeuille certaines de ses pudeurs et remonte le fil de ses souvenirs à la rencontre de ces événements qui l'ont façonné. Présent et passé s'emboîtent pour nous démystifier ce personnage tout en ombres et en lumière. Forcément fascinant. Forcément émouvant.
Arthur, le second dont nous faisons la connaissance, est en phase de rejet de son père. Alors que, petit, il lui vouait une grande admiration. Les occasions ratées et les années l'ont éloigné et l'ont nourri de ressentiments. Aussi, cette chasse au trésor le change et le fait mûrir.
Je ne vous en dirai pas plus, pour ne pas gâcher les rebondissements imaginés par l'autrice. Plein d'émotions m'ont étreinte. J'ai ri parfois, j'ai pleuré souvent. Ce livre a résonné aux tréfonds de mon être. Peut-être parce que le sujet me touche particulièrement...Mais surtout, je pense parce que cet ouvrage est un véritable hymne à l'amour et au pardon.
Bref, vous l'aurez compris: j'ai eu un coup de cœur pour ces magnifiques Silences.
Le Livre de Poche, 2017, 397 pages