Les Petites reines
de
Clémentine Beauvais
"Ça y est, les résultats sont tombés sur Facebook: je suis Boudin de Bronze.
Perplexité. Après deux ans à être élue Boudin d'Or, moi qui me croyais indéboulonnable, j'avais tort.
J'ai regardé qui a remporté le titre suprême. C'est une nouvelle, en seconde B; je ne la connais pas. Elle s'appelle Astrid Blomvall. Elle a des cheveux blonds, beaucoup de boutons, elle louche tellement qu'une seule moitié de sa pupille gauche est visible, le reste se cache en permanence dans la paupière. On comprend tout à fait le choix du jury.
Le Boudin d'Argent a été décerné à une petite de cinquième, Hakima Idriss. C'est vrai qu'elle est bien laide aussi, avec sa moustache noire et son triple menton; on dirait un brochet."
Avez-vous déjà entendu parler des Boudins? Ce sont les récompenses décernées chaque année au collège-lycée Marie Darrieussecq à Bourg-en-Bresse aux filles qui ont le plus brillé par leur laideur.
Et, pour la première fois, la narratrice Mireille Laplanche n'a pas obtenu le titre. Elle a même rétrogradé en troisième place.
Ce qu'elle n'avait pas prévu non plus, c'est que le palmarès lui donnerait l'occasion de se rapprocher des autres gagnantes.
Bien vite, ces trois cibles des moqueries se retrouvent en plein de choses, notamment dans leur envie de "gate crasher" la garden-party du 14 juillet.
Chacune a ses raisons: Mireille souhaite enfin faire la connaissance de son père biologique, le mari de "Barack Obamette", la Présidente de la République; Astrid désire assister au concert d'Indochine, son groupe préféré, et Hakima veut confronter l'ancien commandant de son frère sur une opération militaire catastrophe.
Mais comment faire pour rejoindre la capitale? Et si ces trois "boudins" enfourchaient leurs bicyclettes et se transformaient en "petites reines" de la route?
J'avais déjà eu le plaisir de découvrir le talent de Clémentine Beauvais avec Comme des images et j'avais donc hâte de retrouver sa plume.
Les Petites reines constituent un roman qui détonne dans la production actuelle. Dès les premiers pages et le début du monologue de Mireille Laplanche, notre narratrice pour toute l'aventure, on a la sensation de plonger dans une histoire pas banale. De celles qui se démarquent de toutes les autres qu'on a déjà pu rencontrer.
Une histoire qui brasse une multitude de thématiques: difficulté à accepter son corps, moqueries des autres, recherche du père, solidarité, blessure de guerre, traumatisme d'être un survivant...
Autant dire qu'avec de tels sujets, on aurait pu assister à une intrigue pleine de pathos. Mais il n'en est vraiment rien. Au contraire, tout l'ouvrage est placé sous le signe de l'humour.
L'humour pour parler de ce qui est grave
L'humour pour s'opposer à la méchanceté
L'humour comme arme contre le regard des autres
L'humour comme lien social...
On rit donc souvent, au fil de cette épopée pas comme les autres.
Après avoir bataillé contre leurs parents, les trois boudins obtiennent gain de cause et s'embarquent pour un voyage à vélo entre Bourg-en-Bresse et Paris. Un voyage pendant lequel (summum de l'autodérision), elles vont vendre des boudins noirs, blancs et...végétariens...
A chaque étape, son lot de surprises, son contingent de nouveaux fans,....De belles rencontres qui contribuent à l'apprentissage de ces trois jeunes filles courageuses et leur donnent encore plus la force de s'assumer.
Difficile de lâcher ce livre, une fois entamé, tant l'intrigue surprend, tant les dialogues ou les considérations de Mireille font mouche et tant on s'attache aux personnages!
Cependant, je dois avouer que j'ai été un peu déçue par la conclusion de cette odyssée. J'ai trouvé que tout se résolvait de manière peut-être trop simple pour ces Cendrillons d'un jour et pour le beau Soleil, Kader, le frère d'Hakima. Je m'attendais notamment à autre chose concernant la confrontation entre Mireille et Klaus, son philosophe de père.
Bref, vous l'aurez compris: malgré ce léger bémol, cet ouvrage se révèle une vraie petite pépite. On rit, on réfléchit et on quitte à regret ces trois battantes.
Éditions Sarbacane, 2015, 270 pages