Au-revoir là haut
de
Pierre Lemaître
"Ceux qui pensaient que cette guerre finirait bientôt, étaient tous morts depuis longtemps. De la guerre, justement"
Novembre 1918, quelques jours avant l'armistice. Albert Maillard, comptable de son état, qui aspire à retrouver les jupons de Cécile et l'autoritarisme de sa mère partage la vie des tranchées avec Edouard de Péricourt, un aristocrate artiste, homosexuel et auquel la chance ne cesse de sourire. Tout les oppose mais ils vont être réunis par les faits et gestes de leur supérieur, le lieutenant Pradelle.
Après l'armistice, ils vont emménager ensemble et mettre en place une arnaque autour des monuments aux morts.
Généralement, je me méfie des Prix Goncourt. J'ai toujours peur d'être déçue. Du coup, j'attends souvent quelques mois voire quelques années avant de m'y plonger.
Cependant, Au revoir là-haut m' a immédiatement attirée. Ne serait-ce que par le parcours de son auteur (il faut absolument que je découvre ses romans policiers) et par son sujet. J'ai donc été ravie de pouvoir l'emprunter à mon père pendant les vacances de Noël.
Je dois avouer que j'ai été un peu désarçonnée par les premières pages. J'ai dû m'habituer à la petite musique de Pierre Lemaître, à son utilisation du futur (souvent pour mieux nous tromper). Puis, très vite, j'ai été happée par l'intrigue dense et foisonnante, par les scènes chocs.
Au début, le romancier nous entraîne au front, à quelques jours de l'armistice. Alors que les hommes attendent avec impatience la fin des hostilités, le lieutenant Pradelle souhaite reprendre le combat pour mieux s'illustrer et tirer son épingle du jeu. Ne reculant devant rien, il va même assassiner deux de ses soldats pour redonner envie à ses troupes de partir à l'attaque. Pendant l'assaut, il est découvert par Albert Maillard et tente donc de l'assassiner, en le poussant dans un trou d'obus où il se retrouve enseveli. Le jeune comptable en sort in extremis grâce à Edouard de Péricourt. Mais ce dernier se retrouve défiguré.
Voici comment en quelques pages nous rencontrons les trois protagonistes de cette fresque de l'après-guerre. Trois héros que tout oppose. Ou plutôt devrais-je dire trois anti-héros.
Le lieutenant Pradelle incarne à la perfection la figure du méchant. Il veut à tout prix s'élever dans la société et gagner de l'argent pour pouvoir restaurer son domaine. Après son mariage avec la soeur d'Edouard de Péricourt, il va profiter des relations de sa belle-famille pour monter une entreprise autour des corps des anciens soldats. Il promet de mettre en place des sépultures décentes pour ces victimes alors qu'il les case dans des cercueils trop petits...On ne peut être que bluffé par son immense cynisme, son sens de la répartie, son opportunisme. .. Mais, à l'instar des vilains que l'on peut trouver chez Balzac ou Zola, la chute n'est jamais loin.
Face à lui, deux hommes qu'il a sacrifiés pour recevoir des décorations et le grade de capitaine: Albert Maillard, un "revenant" relativement lâche, qui n'assume jamais ses actions, vit dans la peur d'être découvert, et Edouard de Péricourt, un aristocrate brisé, dont le visage n'est plus qu'une immense béance.
C'est Edouard qui va élaborer tout un stratagème pour arnaquer les mairies et les associations qui veulent honorer la mémoire des morts au combat. Et Albert, par reconnaissance et culpabilité, va le soutenir.
On suit donc le destin de ces trois protagonistes dans une après-guerre où il se révèle bien difficile pour les anciens poilus de se réadapter à leur nouvelle vie et où la plupart peinent à retrouver leur place. Un paradoxe car si les vivants sont négligés, le culte autour des victimes de 14-18 bat son plein. Un culte dont vont profiter chacun à leur manière Pradelle, Maillard et Péricourt.
J'ai également été frappée par la galerie des personnages secondaires: le père et la soeur d'Edouard, les associés de Pradelle...
Néanmoins, Pierre Lemaître se révèle aussi très doué dans la construction du scénario. Les épisodes s'enchaînent sans temps mort (alors que le livre fait 567 pages). Certaines scènes frappent l'imagination du lecteur. Et je ne m'attendais pas forcément à ces dénouements.
De même, j'ai été impressionnée par le travail de documentation qu' a dû fournir cet auteur. Il a su restituer l'atmosphère qui devait régner dans la France de l'entre-deux-guerres.
Bref, vous l'aurez compris: j'ai vraiment beaucoup aimé ce roman dense, noir, cynique et parfois humoristique. Je ne suis pas passée loin du coup de cœur et je vous le recommande vivement.
Je pense que je ne tarderai pas à me plonger dans Robe de marié ou Alex.
Billet dans le cadre d'une lecture commune avec Céline
Albin Michel, 2013, 567 pages, 22,50 €
Commentaires
Je me méfie généralement des prix Goncourt mais celui-ci je veux le lire depuis longtemps, le sujet et la période m'intéressent beaucoup. J'ai aussi 2 policiers signés Lemaitre dans ma PAL il faudrait que je les lise !
Tu as bien raison de te lancer dans ce goncourt là. Un grand roman qui m'a permis de finir l'année en beauté!
Avec Céline, on se disait justement qu'on pourrait lire les oeuvres policières de cet auteur. Peut-être l'occasion d'une nouvelle LC?
Biz
Très beau billet Claire ! Nous avons le même ressenti sur cette ouvrage. C'est le premier Goncourt que je lis car c'est vrai que les prix et la médiatisation de certains ouvrages à plus tendance à me faire fuir qu'autre chose !
En tout cas, je ne suis pas prête d'oublier le personnage de Pradelle !!
C'est avec plaisir que je découvrirai les policiers de l'auteur avec toi. Je regarderai quels sont les titres que je peux avoir à la médiathèque et au travail.
Bises
Merci Céline! Une fois de plus, nous avons en effet le même ressenti sur cet ouvrage!
Je n'oublierai pas non plus de sitôt le personnage de Pradelle. Tout comme certaines scènes choc (celle avec la tête de cheval, notamment ou celle des arrangements autour de la taille des cercueils)
Tiens moi au courant pour les policiers dispos dans ta médiathèque.
Biz
Partante pour une LC, j'ai Robe de marié et Alex dans ma PAL !
A tous ceux qui ont aimé ce roman, je voudrais vous entrainer dans le lieu qui sert de décor secondaire: la résidence du père d’Édouard, l’hôtel particulier de la plaine Monceau: l'hôtel- musée Nassim de Camondo, 63 rue de Monceau, 75008 Paris. Comme Pradelle, attendez que Mr le Comte apparaisse en haut du grand escalier! Que d'émotions... Bonne visite