Le Tour du malheur tome 1: La Fontaine Médicis, l'Affaire Bernan
de
Joseph Kessel
"Il y avait eu le mois d'août 1914.
Et septembre...octobre...novembre...décembre...
La guerre avait pris pour nom tour à tour: Thann, Le Grand-Couronné et Charleroi, puis la Marne et la course à la Mer, enfin le nom de toutes les tranchées qui allaient des Flandres à la Suisse."
Fresque à dimension fortement autobiographique, le Tour du Malheur retrace le parcours de Richard Dalleau, de la Grande Guerre à la fin des années 20.
Dans ces deux premières parties: la Fontaine Médicis et l'Affaire Bernan, nous faisons sa connaissance en 1915. Par une nuit normande où son frère fait le guet pendant qu'il part rencontrer sa future conquête. En quelques pages, tout est installé : l'admiration de Richard pour ceux qui font la guerre, sa relation avec son frère, sa mère et son père ainsi que son rapport aux femmes et son envie de briller.
Comme si Joseph Kessel plantait dès les premières lignes les graines de cet apprentissage qu'il va développer.
Un apprentissage entre admiration et désir de briller, un apprentissage entre volonté d'indépendance et recherche de l'approbation des siens et des autres.
Un apprentissage marqué par l'envie viscérale de s'élever. Au risque de se renier.
Ce roman questionne ainsi la bravoure, l'amitié, l'amour, la camaraderie, l'esprit de clan, la fidélité, l'honneur. Comme autant de principes qui sillonnent la route de notre héros, lui servent de repères ou l'entraînent vers des voies détournées.
A ce parcours de Richard se joignent celui de son frère, son meilleur ami d'études, un lieutenant d'aviation croisé au combat....Figures représentatives de cette époque de la Grande Guerre et de cet après à reconstruire, entre traumatisme et besoin de vivre voire de se brûler.
Ce livre, je l'ai découvert grâce à Olivia de Lamberterie et je l'en remercie. Elle l'avait cité l'année dernière au milieu de 40 titres. Il s'agit de ma seconde incursion dans l'univers de Joseph Kessel. J'avais tant aimé l'Armée des ombres.
Et là, de nouveau, je suis tombée sous le charme.
Ce premier tome de six cent pages propose tout ce que j'aime en littérature : un volet historique; une dimension psychologique; une construction polyphonique; des protagonistes incarnés, entre ombres et lumières; des scènes marquantes et ce besoin viscéral de continuer, chapitre après chapitre. Pour connaître le sort de ces êtres de papier et l'orchestration de leurs destins croisés.
Joseph Kessel reconnaît avoir distribué "ses nerfs et son sang à ses créatures" dans tous ses romans. Il lui a fallu 20 ans pour créer cette oeuvre là. Et peut-être que c'est cette part de lui, instillée pendant si longtemps, qui rend si émouvantes les scènes avec sa famille ou avec son capitaine. Ou tout simplement son grand talent d'écrivain.
Bref, vous l'aurez compris: un ouvrage coup de cœur, que j'ai dévoré.
Folio, 670 pages