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roman - Page 6

  • Salina les trois exils de Laurent Gaudé

    Salina

    les trois exils

    de

    Laurent Gaudé

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    "Au tout début de sa vie,  dans ces jours d'origine où la matière est encore indistincte, où tout n'est que chair, bruits sourds, pulsations, veines qui battent et souffle qui cherche son chemin, dans ces heures où la vie n'est pas encore sûre, où tout peut renoncer et s'éteindre, il y a ce cri, si lointain, si étrange qu'on pourrait croire que la montagne gémit, lassée de sa propre immobilité. Les femmes lèvent la tête et se figent, inquiètes. Elles hésitent, ne sont pas certaines d'avoir bien entendu, et pourtant cela recommence: au loin , vers la montagne Tadma que l'ont ne franchit pas, un bébé pleure."

    Ce bébé, un guerrier le transporte emmailloté. Au pied du roi des Djimbas, il le dépose comme une offrande. Mais le Roi ne veut pas y toucher. Et si c'était un enfant du malheur? Il le laisse à l'épreuve de la nuit. Puis, à celle des hyènes.

    Mamambala, une femme du village, n'y tient plus et recueille ce bébé. Cette petite fille qu'elle surnomme Salina en raison du sel des larmes tant versées.

    Salina grandit et, lorsque son sang se répand pour la première fois, la voilà livrée à la merci des hommes. Rage, haine et brutalité sont désormais son lot.

    Quand ce destin vient à nos oreilles de lecteurs, ce n'est pas Salina qui nous le conte. C'est son fils Malaka qui le transmet. Il espère que son récit ouvrira les portes du cimetière à la dépouille de sa mère.

    "Malaka sait alors qu'il est temps de raconter ce que fut sa mère. Il sait qu'il est temps de prononcer ce vieux nom de Salina qui n'existe plus que pour lui et qu'il a gardé comme un bien précieux. Et  c'est comme si, tout à coup, un autre monde surgissait dans la douceur du soir, un monde sec, aride, fait de sang, de blessures et empli de l'odeur épaisse des hyènes."

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    Quel plaisir de retrouver la plume de Laurent Gaudé! Dans ce récit, aux dix chants de vie et de mort, il retrace l'existence de Salina, une héroïne de la trempe des Médee ou Circé. Une figure forte, aux origines inconnues et dont l'arrivée dans le clan des Djimas revêt un aspect mythologique. Abandonnée par un mystérieux guerrier, elle survit au froid, aux hyènes et se fait adopter par une villageoise.

    Après ce chant introductif, nous la retrouvons au crépuscule de ses jours. Guettant l'arrivée d'une caravane que son fils Malaka a accompagnée. Des cris de mort résonnent dans le désert. Tout se glace en elle. Puis, il apparaît.

    Son retour annonce leur départ vers un ailleurs. Un ailleurs que ne connaîtra jamais Salina.

    Vie et mort sont donc ainsi toujours étroitement entrelacés dans ce désert âpre et rugueux.

    Après les débuts, après la fin, place aux mots de Malaka. Des mots que Salina elle-même a instillés en lui, veillée après veillée.

    C'est un peu comme si sa voix se mêlait à la sienne. Pour dire son amour, sa haine, sa souffrance, sa solitude, sa vengeance...Pour parler aussi de ce bonheur qui semble lui échapper sans cesse. Comme pour ses grandes héroïnes que je mentionnais plus tôt.

    Certaines scènes m'ont d'ailleurs furieusement fait penser à des récits mythologiques ou bibliques: la dénonciation après la bataille, la lutte des frères sur la montagne...

    On est ainsi captés par ces séquences, par leur intensité, par leur fatalité. Laurent Gaudé se révèle, comme souvent, un narrateur incroyable, au style à la fois poétique et incisif et à la construction maîtrisée et implacable.

    Dans cet univers sec, aux allures de Grèce, d'Afrique et d'Inde, il nous tient captif. Comme si c'était lui Malaka et que nous étions les auditeurs de ce village avec le cimetière-île. Cette mise en abyme m'a d'ailleurs beaucoup plu.

    J'ai aimé me retrouver dans ces paysages arides, à la recherche de Salina.

    J'ai aimé retenir mon souffle lors de ces jours de bataille sur la montagne.

    J'ai aimé les femmes de ce drame, qui naviguent sans cesse entre amour, haine et pardon.

    J'ai aimé ces scènes parallèles (le mariage et le fleuve) et ces échos inversés.

    J'ai aimé ce conte de vie et de mort.

    Bref,  vous l'aurez compris: Salina fait partie de ces grands romans qui nous accompagnent longtemps et que l'on ferme à regret.

    Actes Sud, 2018, 148 pages

     

  • Le Mur invisible de Marlen Haushofer

    Le Mur invisible

    de

    Marlen Haushofer

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    "Aujourd'hui cinq novembre, je commence mon récit. Je noterai tout aussi exactement que possible. Pourtant je ne sais même pas si aujourd'hui est bien le cinq novembre. Au cours de l'hiver dernier quelques jours m'ont échappé. Je ne pourrais pas dire non plus quel jour de la semaine c'est. Mais je pense que cela n'a pas beaucoup d'importance. Je n'ai à ma disposition que quelques rares indications, car il ne m'était jamais venu à l'esprit d'écrire ce récit et il est à craindre que dans mon souvenir bien des choses ne se présentent autrement que je les ai vécues."

    En période de Guerre froide, notre héroïne est partie avec sa cousine et son mari dans leur chalet à la montagne. Fatiguée le premier soir, elle a préféré ne pas les accompagner lors de leur sortie au village. Le lendemain, à son réveil, elle est bien étonnée de ne pas les trouver. Elle part donc à leur rencontre et se retrouve séparée du reste de la vallée par un mur invisible. Derrière la paroi, tout le monde semble s'être pétrifié. Très vite, elle se découvre seule au monde avec comme unique objectif de survivre et de permettre aux quelques animaux rescapés de continuer leur existence. Labeur, solitude, rigueur, peur rythment ainsi ses journées. Comment réussir à trouver la force de se battre? Comment garder une once d'espoir, celle qui permet de se lever tous les matins et de continuer, malgré l'isolement, le découragement, l'éternel questionnement?

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    Marlen Haushofer

    Miss Léo m'avait gentiment offert ce livre lors d'un Noël entre blogueuses il y a déjà deux ans de cela. Cependant, face à ma PAL gargantuesque, je n'avais pas encore pris le temps de l'ouvrir. Il a fallu ce formidable mouvement initié par Diglee pour que finalement, je me décide.

    Ce livre, je l'ai dévoré au début du mois lors de quelques jours de congé. J'avais l'impression de faire partie du quotidien de cette femme dont le dialogue avait été interrompu. J'avais envie de répondre à son journal de bord, de l'encourager dans ses moments de profonde détresse, de lui dire aussi toute mon admiration pour s'être transformée en cette Robinsonne des temps modernes.

    Ce livre, il retrace le parcours incroyable d'une reconstruction et d'une survie dans un monde détruit.

    Ce livre, c'est un hommage à la nature, dans toute sa sauvagerie, sa générosité, sa violence et sa beauté.

    Ce livre, c'est le récit d'une héroïne au sens fort du terme, capable de relever tous les défis pour nourrir la famille qu'elle s'est constituée, entre son chien, ses chats, sa vache et son taureau.

    Ce livre, c'est justement cette magnifique histoire d'amour entre une femme et ses animaux.

    Ce livre, c'est le passage des saisons et de ce temps qui s'égrène sans avoir le même sens qu'avant.

    Ce livre, c'est un hymne à la vie qu'elle qu'elle soit.

    Ce livre, c'est le bonheur de sentir la lumière du soleil sur son visage.

    Ce livre, c'est de la peur et des battements de cœur accélérés devant l'inconnu capable de briser une routine si chèrement établie.

    Ce livre, c'est une leçon de survie, de courage et de rage, de lutte contre l'ennui et l'abattement.

    Je sais que je me souviendrai longtemps de certaines scènes: les descriptions des paysages sur les alpages, les images derrière le mur, les promenades avec Lynx, les petites victoires face à la nature... Mais également du rythme de cette intrigue: lent, avec une tension toujours larvée derrière les instants apparemment calmes. Et de cette sensation de suffocation à l'idée de cet après sans doute jamais possible.

    Bref, vous l'aurez compris: Le Mur invisible fait partie de ses ouvrages différents, au rythme qui épouse celui des jours à l'infini. Une fois refermé, on a l'impression de laisser tomber une voix amie dont la survie ne dépendait que de notre lecture. Comme si nous étions capable de briser son sort de solitude, rien que par des pages qui se tournent. Et il faut avouer que c'est rare de se sentir aussi nécessaire et essentiel à un personnage.

    Actes Sud, 346 pages

     

  • Danse d'atomes d'or d'Olivier Liron

    Danse d'atomes d'or

    de

    Olivier Liron

     

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    « Il pleuvait des trombes sur l'avenue du Général-Leclerc, qui relie à Paris le lion de Belfort aux rats d'égout de la station de métro Porte d'Orléans. J'avais accepté l'invitation de Thmtn et Lwhtn à une soirée où l'on prévoyait de fastidieux jeux de société et j'inclinais déjà à penser que je le regretterais, car mon ami Vediani me bombardait de sms. […] Dans le soir lent à mourir, les bonnes odeurs me faisaient oublier une vieille tristesse, une sensation de vivre en pointillés depuis des années. Je m'étais promené tout l'après-midi au bord de la Seine, avec une vague envie de partir en voyage, de tomber pourquoi pas amoureux, d'inverser le cours de la tristesse et du fleuve. »

    A une soirée chez des amis, O. fait la connaissance de Loren, une acrobate libre et fascinante. Grâce des prémisses. Balbutiements d'une histoire d'amour naissante où on parle « de cinéma, de soleil. De riens. » . Et où on tient aussi des conversations lunaires autour des mardis coincés entre les lundis et les mercredis. Puis, le fracas de la passion, l'embrasement des corps et trois mois à s'aimer dans les rues de Paris. Jusqu'à la disparition inexpliquée de Loren.

    Tel Orphée, O. pleure son Eurydice.

    « Je t'ai cherchée dans tous les recoins familiers du monde. Dans les frissons inconnus. Dans le frôlement d'autres corps, d'autres mains...Je t'ai cherchée dans la géographie incertaine de l'insomnie où la vie se mêle aux songes, lorsque la conscience bascule dans le manque, dans l'absence. Je t'ai cherchée avec la foi de l'enfance. Je ne savais pas si tu étais vivante. Je t'ai cherchée. Partout. A tous les étages de la mémoire et du réel. Dans tous les recoins de l'errance et du vertige. Je t'ai cherchée jusqu'à en perdre l'équilibre. Je t'ai cherchée sur le fil des jours. »

    Puis, arrive une lettre de Tombelaine, en Normandie. O. part crier son chagrin aux vagues. Et apprendre enfin la vérité sur Loren.

     

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    La Valse de Camille Claudel

     

    J'ai immédiatement été happée par ce chant d'amour et de mort, qui fait écho au mythe d'Orphée et d'Eurydice. En trois actes (Orphée, la Normandie et Eurydice), une passion se déploie sous nos yeux, entre éclats de cœur et déchirures intérieures, entre rires et confessions, entre souffrance et absence.

    J'ai beaucoup apprécié la construction: ces trois parties qui scandent cette danse. Deux d'entre elles sont menées par O. qui nous livre le récit de son histoire avec Loren. Et, dans la troisième, c'est Loren elle-même qui nous guide vers les Enfers. J'ai aimé entendre sa voix, comprendre ses choix. Tout comme j'ai aimé le décroché dans la narration par O. Ces tutoiements qui surgissent parfois au détour d'une phrase ou d'un passage et qui résonnent comme une longue plainte d'amour.

    De même, j'ai été vraiment bluffée par le style. Un style vivant, vibrant, émouvant, sensible. Un style qui parle de la poésie de nos quotidiens et de toutes ces bulles enchantées qui surgissent dans nos journées.

    "ici et là, un rayon de soleil filtrant par une fente transformait la poussière en une danse d'atomes d'or."

    Ce livre, c'est de la chair palpitante, des cœurs en lambeaux, des rires derrière le désespoir.

    Ce livre, c'est une magnifique déclaration d'amour à la femme enfuie.

    Ce livre, c'est un hommage à la vie.

    Ce livre, c'est le lyrisme à l'état pur.

    Bref, vous l'aurez compris: cette Danse d'atomes d'or a été un vrai coup de cœur. Sans doute une de mes plus belles lectures de 2018. Et je ne peux bien entendu que vous la recommander.

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    Je vous laisse en bonus un lien vers Poor Edward, la chanson préférée de la fascinante Loren.