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the frenchbooklover - Page 31

  • Le Mur invisible de Marlen Haushofer

    Le Mur invisible

    de

    Marlen Haushofer

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    "Aujourd'hui cinq novembre, je commence mon récit. Je noterai tout aussi exactement que possible. Pourtant je ne sais même pas si aujourd'hui est bien le cinq novembre. Au cours de l'hiver dernier quelques jours m'ont échappé. Je ne pourrais pas dire non plus quel jour de la semaine c'est. Mais je pense que cela n'a pas beaucoup d'importance. Je n'ai à ma disposition que quelques rares indications, car il ne m'était jamais venu à l'esprit d'écrire ce récit et il est à craindre que dans mon souvenir bien des choses ne se présentent autrement que je les ai vécues."

    En période de Guerre froide, notre héroïne est partie avec sa cousine et son mari dans leur chalet à la montagne. Fatiguée le premier soir, elle a préféré ne pas les accompagner lors de leur sortie au village. Le lendemain, à son réveil, elle est bien étonnée de ne pas les trouver. Elle part donc à leur rencontre et se retrouve séparée du reste de la vallée par un mur invisible. Derrière la paroi, tout le monde semble s'être pétrifié. Très vite, elle se découvre seule au monde avec comme unique objectif de survivre et de permettre aux quelques animaux rescapés de continuer leur existence. Labeur, solitude, rigueur, peur rythment ainsi ses journées. Comment réussir à trouver la force de se battre? Comment garder une once d'espoir, celle qui permet de se lever tous les matins et de continuer, malgré l'isolement, le découragement, l'éternel questionnement?

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    Marlen Haushofer

    Miss Léo m'avait gentiment offert ce livre lors d'un Noël entre blogueuses il y a déjà deux ans de cela. Cependant, face à ma PAL gargantuesque, je n'avais pas encore pris le temps de l'ouvrir. Il a fallu ce formidable mouvement initié par Diglee pour que finalement, je me décide.

    Ce livre, je l'ai dévoré au début du mois lors de quelques jours de congé. J'avais l'impression de faire partie du quotidien de cette femme dont le dialogue avait été interrompu. J'avais envie de répondre à son journal de bord, de l'encourager dans ses moments de profonde détresse, de lui dire aussi toute mon admiration pour s'être transformée en cette Robinsonne des temps modernes.

    Ce livre, il retrace le parcours incroyable d'une reconstruction et d'une survie dans un monde détruit.

    Ce livre, c'est un hommage à la nature, dans toute sa sauvagerie, sa générosité, sa violence et sa beauté.

    Ce livre, c'est le récit d'une héroïne au sens fort du terme, capable de relever tous les défis pour nourrir la famille qu'elle s'est constituée, entre son chien, ses chats, sa vache et son taureau.

    Ce livre, c'est justement cette magnifique histoire d'amour entre une femme et ses animaux.

    Ce livre, c'est le passage des saisons et de ce temps qui s'égrène sans avoir le même sens qu'avant.

    Ce livre, c'est un hymne à la vie qu'elle qu'elle soit.

    Ce livre, c'est le bonheur de sentir la lumière du soleil sur son visage.

    Ce livre, c'est de la peur et des battements de cœur accélérés devant l'inconnu capable de briser une routine si chèrement établie.

    Ce livre, c'est une leçon de survie, de courage et de rage, de lutte contre l'ennui et l'abattement.

    Je sais que je me souviendrai longtemps de certaines scènes: les descriptions des paysages sur les alpages, les images derrière le mur, les promenades avec Lynx, les petites victoires face à la nature... Mais également du rythme de cette intrigue: lent, avec une tension toujours larvée derrière les instants apparemment calmes. Et de cette sensation de suffocation à l'idée de cet après sans doute jamais possible.

    Bref, vous l'aurez compris: Le Mur invisible fait partie de ses ouvrages différents, au rythme qui épouse celui des jours à l'infini. Une fois refermé, on a l'impression de laisser tomber une voix amie dont la survie ne dépendait que de notre lecture. Comme si nous étions capable de briser son sort de solitude, rien que par des pages qui se tournent. Et il faut avouer que c'est rare de se sentir aussi nécessaire et essentiel à un personnage.

    Actes Sud, 346 pages

     

  • Froidure de Kate Moses

    Froidure

    de

    Kate Moses

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    "De l'or filtre sous ses paupières. Elle est réveillée. Les somnifères, à présent dissipés, obsolètes comme le souffle, leur expiration la projetant du fond vaseux du sommeil jusqu'à la surface. C'est le matin, ou presque: un lent soleil de décembre apparaît derrière les fenêtres sans rideaux de sa chambre, se heurtant à ses draps froissés, traînant sur son visage sa faible lumière du levant."

    Décembre 1962, Sylvia Plath vient juste de se séparer de Ted Hughes. Elle croit un nouveau départ possible  et elle vient de s'installer à Londres avec ses deux enfants, dans un appartement jadis occupé par le poète Yeats.

    Dans cet hiver froid, bien trop froid, elle peine pourtant à trouver ses repères. Dans son logement encore trop inconfortable. Dans cette solitude avec ses enfants tellement éloignée du bonheur auquel elle aspirait.

    Sans amis, sans téléphone, sans réelle aide, les journées et les nuits passent lentement, peuplées  de mal-être, de cauchemars et de vœux difficiles à exaucer. Ses seules échappées: une visite au zoo, quelques instants de shopping et l'écriture. L'écriture toujours pour retrouver le bonheur passé et éloigner le désespoir qui la hante.

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    Ce roman, je l'avais depuis quelque temps dans ma pile à lire. Et c'est grâce à Charlotte et son club de lecture de février que je l'en ai sorti. J' avais déjà lu autour de Sylvia Plath Les Femmes du Braconnier de Claude Pujade-Renaud et j'étais curieuse de découvrir comment Kate Moses allait appréhender le destin de cette héroïne.

    Dès les premières pages, j'ai été happée par la puissance et la beauté du style, en parfaite adéquation avec le sujet. Certaines phrases, certains paragraphes constituent  de purs bijoux. Je fais notamment référence à celui consacré aux 30 ans de Sylvia, cette promenade à cheval du petit matin où elle établit une sorte de bilan dans une nature apaisante.

    "Si ce n'était pas ce jour-là, ce serait une autre fois: elle serait toujours quittée. Elle le savait. Cette intuition, cette vision profonde de son être, c'était un don qu'elle avait, tout comme le don des mots. C'était son destin, son "wird": ce qui allait advenir. Sa singularité était un motif de fierté. Ariel: esprit de la poésie, lionne de dieu, autel sacrificiel, naissance de l'âme immaculée: tout convergeait, maintenant, et maintenant, et maintenant, tel un martèlement de sabots. Son dieu est mort, encore une fois. La muse flotte au-dessus de sa vie comme une lune. Elle va chevaucher ce destin jusqu'au bout, jusqu'à une extase enflammée, une résurrection sur une colline, un moi authentique dépouillé de tout artifice."

    Le récit débute le 12 décembre 1962 à Londres et suit ainsi pendant toute la fin de ce mois le parcours de Sylvia. Sans cesse, elle oscille entre joie et tristesse, entre espoir et désespoir, entre création et abandon. Comme si elle ne pouvait plus retrouver ses repères, perdue dans un océan du quotidien qui l'engloutirait sans cesse. Au compte-rendu de ce mois si particulier s'intègrent des échappées belles vers Court Green, cette maison-île du Devon où Ted et Sylvia croyaient pouvoir réaliser leurs rêves. Ces bulles de gaieté et de légèreté viennent se heurter parfois à des retours dans un ancien temps plus sombre, où la dépression avait le dessus.

    Cette construction morcelée, telle un puzzle entre passé et présent, m'a beaucoup plu. Tout comme j'ai apprécié le choix narratif d'entendre sans cesse la voix de Sylvia. A l'exception de ce chapitre où Ted s'exprime et se révèle profondément émouvant.

    De plus, ce roman explore le processus de création, ainsi que la difficulté pour Sylvia d'exister par rapport à son mari. Voire sur l'impossibilité de deux génies à coexister. J'ai été particulièrement frappée par les passages où Ted lit les poèmes de sa femme et réalise le tournant important qu'elle est en train de prendre. Entre stupeur, envie, jalousie, on sent bien qu'il hésite et que ses félicitations ont un goût d'amer.

    Autour de Sylvia, gravite une multitude de personnages qui, chacun à leur manière, éclairent cette femme emportée par la froidure de l'hiver. Sa mère Aurélia, bien trop présente. Dido, l'amie qui trahit. Assia, la rivale...Autant de contrepoints féminins qui permettent de dresser le portait de cette poétesse si talentueuse et de mieux comprendre sa solitude criante.

    Bref, vous l'aurez compris: cet ouvrage se révèle un travail d'orfèvre, délicat et sincère, aux images fortes et aux scènes poignantes. Un ouvrage qui nous accompagne longtemps une fois la dernière page tournée. Et qui donne furieusement envie de se plonger dans les poèmes de Sylvia et dans sa Cloche de Détresse.

    Quai Voltaire/La Table ronde, 2004, 334 pages

     

     

  • Ma dévotion de Julia Kerninon

    Ma dévotion

    de

    Julia Kerninon

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    "A vingt-cinq ans, j'ai écrit un mince essai consacré à Hans Christian Andersen. J'étais jeune alors, et je pensais y avoir démontré de manière convaincante l'étroitesse des liens entre la vie et l’œuvre de l'auteur danois, mais je me leurrais. Des années plus tard, lorsque je l'ai vraiment lu, ce qui signifie lu comme le livre écrit par une autre-ce qu'il avait de fait fini par devenir- j'ai été stupéfaite de ce que j'y ai trouvé. En lieu et place des pertinentes analyses dont je croyais me souvenir, je découvrais page après page une défense presque lyrique de l'isolement- et j'entendais la voix sourde de la jeune femme que j'avais été, une fille introvertie, se cachant derrière ces livres, aussi terrifiée qu'orgueilleuse, et qui tâchait férocement d'imposer un ordre au monde."

    Au crépuscule de son existence, Helen croise par hasard Franck sur un trottoir de Londres, alors qu'ils ne se sont pas vus depuis plus de vingt-trois ans. Sur ce bout de bitume, elle entame sa longue confession. De leur rencontre sous les lambris d'un palais romain à leur installation à Amsterdam, de leurs séparations à leur réunion normande, de leur enfance au drame, se déroule ainsi le fil de leur relation.

    "Si je t'avais parlé à temps, Frank. Si je t'avais une seule fois, dit quelque chose au lieu de simplement faire, toujours faire, toujours tout faire, si j'avais su utiliser tous les mots qui étaient pourtant, sous leur forme écrite, ma compétence la plus achevée, si j'avais su les dompter pour qu'ils portent ma voix, rien de tout cela ne serait arrivé, n'est-ce pas? C'est pour cela que je parle maintenant et que tu dois m'écouter."

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    © Philippe Matsas / OPALE

    Grâce au Grand prix des lectrices Elle, j'ai découvert la plume de Julia Kerninon. Pour mon premier jour de l'année 2019, je me suis plongée dans ce livre et je l'ai dévoré en une après-midi.

    J'ai été captée par ce long chant de l'amour impossible. A la manière de l'héroïne de la magnifique nouvelle Lettre d'une inconnue de Stefan Zweig, Helen revient sur toutes les étapes de sa passion dévorante pour Franck. Rome, Amsterdam, la Normandie, Londres comme autant de couplets de ce même refrain décliné à l'infini: son adoration pour cet homme qui ne cesse de lui échapper et la rattrape au moment des adieux.

    La plume sensible et vibrante de Julia Kerninon épouse au mieux les pensées de cette héroïne au cœur malmené.  Et nous livre un sublime portrait de femme.

    J'ai beaucoup apprécié également l'analyse psychologique, à la fois poussée et d'une grande finesse. Non seulement d'Helen. Mais aussi de Franck, dont on entend une seule fois la voix (et de quelle jolie manière) mais qui se dessine en creux de chaque phrase de la narratrice. Tout s'efface en sa présence. Et les autres protagonistes n'apparaissent que comme des figures de deuxième plan. Même si, à un moment, elles parviennent à occuper un rôle de premier plan. Notamment par les vérités implacables qu'elles délivrent.

    Quant au duo Helen et Franck, il est fascinant de les voir évoluer dans leur danse de l'amour-dévoration, de l'amour-ravage, de l'amour-fuite, de l'amour-jalousie, de l'amour-pardon, de l'amour-drame...Même si, le plus souvent, Helen se retrouve reléguée de la piste de danse, loin de ce cavalier si convoité.

    De plus, ce roman permet une incursion dans les milieux diplomatiques, culturels et un voyage des années 50 à nos jours. Toute la partie sur la création, tant littéraire que picturale, m'a profondément intéressée.

    Chapitre après chapitre, nos sentiments sont chamboulés, entre compréhension, attachement, pitié, rejet, espoir...Jusqu'à cet acte final, d'une certaine façon, inéluctable.

    Bref, vous l'aurez compris: j'ai entamé l'année 2019 en termes de lectures de la plus belle manière. Ma dévotion, ce drame de l'amour à sens unique, m'a profondément touchée. Et je pense que cette fresque de la passion entre deux êtres extraordinaires fera partie de mes plus belles découvertes du Grand prix des Lectrices Elle 2019.

    Editions Rouergue, La Brune, 2018, 299 pages

    En bonus, je vous glisse un lien vers cette chanson qui a résonné en moi, une fois ce livre refermé.