La Porteuse de mots
de
Anne Pouget
"Paris, mai 1499
Pernelle se massa les épaules, ultime répit avant de se jeter dans la mêlée: malgré l'heure matinale, la fontaine de la Halle était assaillie de monde; ça chahutait, ça criait, ça se bousculait autant que dans une basse-cour à l'heure du grain."
En ce mois de mai 1499, Pernelle, une jeune fille de 13 ans, exerce le métier de porteuse d'eau. Elle contribue ainsi au mince pécule familial.
Mais ce matin-là, sa tournée va lui permettre de faire une rencontre déterminante. En effet, elle croise Enzo, un garçon italien venu étudier dans la capitale, et elle lui confie son ambition d'apprendre à lire. Et s'il le réalisait?
Mais rien n'est simple pour notre héroïne. Très vite, la maladie de son père et les accusations de sorcellerie à l'encontre de sa mère la poussent à grandir et à faire face à des responsabilités d'adultes.
Et, dans un tel contexte, comment trouver la force de poursuivre ses objectifs?
J'avais remarqué ce roman dans un des billets de Bianca et tant la couverture que le titre m'avaient donné envie de m'y plonger. Aussi, je me suis lancée dans cette lecture commune avec ma copinaute.
J'ai tout de suite accroché au personnage de Pernelle. Cette héroïne a des rêves pleins la tête et elle se donne les moyens de les réaliser. Une manière pour Anne Pouget de parler d'un sujet qui me touche tout particulièrement, comme vous le savez déjà si vous suivez régulièrement mon blog, la place des femmes dans la société et dans l'histoire.
Dans ce Paris de la Renaissance, on en apprend plus sur les conditions de vie de la gent féminine. Pernelle, sa mère Richarde et Hermance: trois figures qui tentent de survivre mais surtout de mener à bien leurs passions. Or, ce n'est jamais facile et comme le rappelle le procès de Richarde, ce n'est jamais exempt de risques.
De même, cette réflexion sur la condition des femmes s'accompagne d'une description minutieuse de la vie dans la capitale à la fin du 15ème siècle. On se promène, des rives de la Seine où les ponts menacent de s'effondrer et où le spectre de la "grenouille" plane aux des ruelles de Notre-Dame. On voyage également à Venise. Tous ces itinéraires nous permettent de découvrir les coulisses des tribunaux parisiens, les boutiques de libraires, les premiers imprimeurs, la vie dans les collèges, le milieu étudiant...
On apprend donc beaucoup de choses au fil de ces 197 pages. Et justement c'est peut-être le tort qu'on pourrait faire à ce roman jeunesse: afin de nous amener à ce degré de connaissance, l'auteur a dû multiplier les ressorts de l'intrigue, jusqu'à la rendre quelque peu invraisemblable. On a du mal à croire qu'une jeune fille de cette catégorie sociale ait pu faire toutes ces rencontres (Erasme entre autres) et obtenir tous ces soutiens.
Mais cette apparence un peu trop "conte de fées" ne doit pas pour autant occulter les indéniables qualités de cet ouvrage: outre son encyclopédisme, La Porteuse de mots comporte de jolis personnages, à l'instar de Pernelle et de Rutebeuf, l'ami simple et au cœur d'or de la famille.
Et cette œuvre met également en lumière des personnes ayant réellement existé, tels que Barthélémy de Chassanée (un avocat spécialiste des procès d'animaux. L'occasion d'assister à des scènes très drôles de tribunal) ou Aldo Manunzio, cet imprimeur de génie qui a contribué à l'essor des idées humanistes.
Bref, vous l'aurez compris: j'ai passé un bon moment en compagnie de ce roman historique très documenté et qui nous permet une incursion dans l'univers si riche de la Renaissance.
Merci aux éditions Casterman pour cette découverte
Editions Casterman, 2014, 197 pages
Billet dans le cadre d'une LC avec Bianca