Ainsi puis-je mourir
de
Viviane Moore
"Il avait plu, une pluie fine qui avait jeté un voile scintillant sur la vallée et les collines alentour. Puis, au détour du chemin, il apparut. Il semblait tout droit sorti d'un conte avec ses tourelles, ses fenêtres à meneaux, ses douves, ses toits d'ardoise bleues et ses hautes cheminées, la blancheur de ses pierres soulignée par la noirceur d'un ciel d'orage.
Je savais déjà ses drames et ses légendes, mais je ne pouvais deviner quel rôle il allait jouer dans ma vie. Ce jour-là, le château des Ravalet prit possession de mon esprit et m'habita plus sûrement que je ne le fis, moi qui allais devenir sa maîtresse...et sa victime."
Lors d'une séance de dédicaces dans une petite librairie de Cherbourg pour la sortie de son premier roman, Gabrielle a rencontré Philip Sedley. Et, au bout d'un mois de cour effrénée, ils se sont mariés.
Après un voyage de noces idyllique, les voici de retour dans la propriété familiale, le château de Ravalet. Un lieu qui a scellé le destin tragique de nombre de ses occupants.
A commencer par celui de Marguerite de Tourlaville, décédée quatre cent ans plus tôt pour avoir vécu une passion interdite.
Justement Gabrielle décide de faire de cette jeune femme le prochain sujet de son roman.
Très vite, le passé la rattrape...L'histoire semble se répéter... et le danger rôde dans l'enceinte de Ravalet...
Le château de Ravalet/Tourlaville (qui a vraiment abrité l'enfance de Marguerite)
J'avais remarqué ce roman sur quelques blogs et cela faisait longtemps que je souhaitais découvrir Viviane Moore. La hasard d'une pérégrination dans les rayons d'une bibliothèque parisienne m'aura permis de concilier ces deux envies.
Cet ouvrage s'articule autour de deux époques: une plus contemporaine qui met en scène Gabrielle et son mari et une, située sous le règne d'Henri IV, qui décrit le destin tragique de Marguerite et de sa famille.
C'est la plume de Gabrielle qui sert de lien entre ces deux chronologies. En effet, l'héroïne imaginée par l'auteur a déjà publié une première œuvre et s'inspire de ses nouveaux lieux d'habitation pour forger la seconde.
L'occasion pour Viviane Moore de parler de la condition d'écrivain et sans doute de livrer quelques-unes de ses habitudes.
"L'écriture était une musique, il me fallait inventer la mienne, un son particulier, un équilibre, une alternance de mouvements de puissances et de colorations différentes."
A ce jeu de miroirs Gabrielle/Viviane se superpose un autre jeu de miroirs entre Gabrielle/Marguerite. L'occasion pour le lecteur de s'interroger sur la porosité des frontières entre création/réalité et passé/présent.
Au fil des pages, on assiste à un curieux phénomène: comme si les événements survenus quatre cent ans auparavant jetaient une ombre sur le quotidien de Gabrielle et de Philip.
Alors, pure imagination d'un esprit trop en éveil ou vraie manifestation de la tragédie? Tout le récit oscille sans cesse entre ces questions et seules les pages finales nous révèlent le fin mot de cette intrigue.
Un des autres atouts de ce roman réside dans l'équilibre entre ces deux temporalités. Même si celle plus actuelle occupe plus de chapitres, la plus ancienne se révèle tout aussi passionnante
Sur les traces de Marguerite, de ses 13 à ses 17 ans, on en apprend beaucoup sur la vie des nobles dans les années 1600-1603. Viviane Moore décortique aussi bien les mœurs (la condition des femmes, le joug des maris...) que les loisirs (avec notamment cette partie de soule épique). Et démontre ainsi un grand talent pour la reconstitution historique.
Malheureusement, je dois reconnaître que j'ai moins adhéré à l'idylle de Marguerite. Peut-être car comme certaines personnes de l'époque, elle m'a déstabilisée...Je vous laisse juge et je serai curieuse de connaître vos avis.
Le présent regorge tout autant de ressorts dramatiques: menaces, chantage affectif...Sans oublier la manoir qui dissimule bien des secrets.
Ce château de Ravalet m'a rappelé le Manderley de Rebecca. De même, si je me fie à mes vieux souvenirs, la cour éclair, la gouvernante imposante, la châtelaine trop timide et...les secrets de Philip constituent bien des hommages au célèbre texte de Daphné du Maurier.
Comme pour Marguerite, l'étau se resserre autour de Gabrielle...et du lecteur qui tourne les pages avec de plus en plus de vélocité.
"Même en fuyant l'on est pris; Ce qui me donne la vie me cause la mort; Les deux n'en font qu'un, Ainsi puis-je mourir...."
Bref, vous l'aurez compris: je ne suis pas pas passée loin du coup de cœur avec cet ouvrage. Mais la passion interdite et une partie du dénouement m'ont empêchée d'en éprouver un.
Editions 10/18, 2013, 424 pages